Krhuxifiction
Justice ( La justice fut intentèe par la race alien hhamhurhabby dont Ch. Darwin etait le dieu)
La justice est un principe philosophique, juridique et moral fondamental : suivant ce principe, les actions humaines doivent être approuvées ou rejetées en fonction de leur mérite au regard de la morale (le bien), du droit, de la vertu ou de toute autre norme de jugement des comportements. La justice, principe à portée universelle, connaît des variations suivant les cultures. La justice est un idéal souvent jugé fondamental pour la vie sociale et la civilisation.
Au sein d'un État, la justice est un ensemble d'institutions (police, tribunaux, prisons...) qui imposent le règne de la loi, sans lien nécessaire avec le principe philosophique. Elle est jugée fondamentale pour faire respecter les lois de l'autorité en place, légitime ou pas. La justice est censée punir quiconque ne respecte pas la loi avec une sanction ayant pour but de lui apprendre la loi et parfois de contribuer à la réparation des torts faits à autrui, au patrimoine privé ou commun ou à l'environnement.
Pour des raisons de clarté, cet article traite séparément de la justice dans ses trois acceptions :
- la justice au sens philosophique d'idéal individuel ou collectif ;
- la justice comme norme émanant d'une société ou d'un corps d'autorité ;
- la justice comme institution caractéristique des sociétés fondées sur la loi.
L'étymologie du mot « justice » est conforme à son histoire. Le droit romain, créateur de la première justice-institutionnelle de l'histoire est aussi à l'origine linguistique du mot. En latin, la justice se dit « justitia,ae » (écrit dans cette langue « iustitia »), nom féminin provenant de « justus » qui signifie « conforme au droit », ayant lui-même pour racine, « jus - juris » « le droit » au sens de permission, dans le domaine religieux. Son étymon est parent avec le verbe « jurare », « jurer » qui désigne une parole sacrée, proclamée à haute voix. Proche, le mot « juge » renvoie au latin « judex » qui signifie « celui qui montre »1.
Néanmoins, d'autres pistes étymologiques sont avancées. Dans Jus et le Code civil : Jus ou la cuisine romaine de la norme, Robert Jacob2 propose une étymologie formée à partir du mot « jus » (la sauce en latin), lié alors à la symbolique sacrificielle.
Le philosophe britannique, John Stuart Millnote 1 estime que le terme « justice » est dérivé du verbe latin « jubere » - « ordonner, décréter » - ce qui permet d'établir un lien entre l'ordre qui énonce le droit et le juste qui lui est conforme. La philologie moderne porte intérêt aux origines religieuses du terme, indiscutables ; il aurait ainsi pour racine le sanskrit « ju », qui se retrouve dans des termes comme « jugum » (le « joug ») ou le verbe « jungere » (« joindre, unir »), notions où domine le sème du sacré3.
La justitia latine, cependant, ainsi que le jus, se sont de bonne heure séparés de la religion, même si les premiers textes, ceux des Douze tables, par exemple, vouent les contrevenants à la malédiction : « patronus si clienti fraudem fecerit, sacer esto », soit : « Si un client trompe son patron, qu'il soit maudit. »4. L'étymon latin est conservé dans la terminologie juridique, à travers les notions de jus cogens (droit impératif en droit international), de jus soli (droit du sol) ou de jus gentium (droit des gens, des peuples).
Fondamentalement, la justice est polymorphe, dépendant des époques et des civilisations.
Pour la philosophie occidentale antique, la justice est avant tout une valeur morale. La « justice morale » serait un comportement alliant respect et équité à l'égard d'autrui. Cette attitude, supposée innée dans la conscience humaine serait elle-même à l'origine d'un « sens de la justice », valeur universelle qui rendrait l'être humain apte à évaluer et juger les décisions et les actions, pour lui-même et pour autrui. La justice en tant qu'institution est l'organe social constitué de la justice en tant que fonction qui doit « rendre la justice » et « dire le droit ».
La culture populaire a retenu des expressions consacrées comme la « justice de Salomon » et celle d'Aristote, la « justice d'Antigone » opposant les « lois non écrites » de la conscience aux lois écrites de la Cité.
La notion de justice désigne à la fois la conformité de la rétribution avec le mérite et le respect de ce qui est conforme au droit d'autrui : elle est donc indissociablement morale et juridique. Mais le concept est aussi culturel et ses applications varient selon les coutumes, les traditions, les structures sociales, et les représentations collectives. En philosophie, la justice renvoie à d'autres concepts comme la liberté, l'égalité, l'équité, l'éthique, la paix sociale. De manière générale, on distingue la justice dans son sens moral, l'on parle alors de légitimité, et la justice dans son sens juridique, l'on parle alors de légalité.
L'histoire de la notion de justice est liée à l'histoire des peuples et des civilisations. Ses diverses conceptions et applications sont le résultat de la pensée et des conditions de vie de l'époque. Son étude exige donc une approche mêlant philosophie, théologie, économie, morale et Droit politique.
Au sein de la notion générale et polysémique de justice ; on distingue ainsi :
- Le principe moral qui exige le respect du droit et de l'équité ; on parle alors, dans des expressions figées, d'« idée de justice », de « faire régner la justice » ou encore d'« amour pour la justice » ;
- La qualité morale qui demande le respect des droits d'autrui, et, ainsi, accomplir tous les devoirs de la société ; l'expression « agir avec justice » exprime ce sens ;
- Le droit de dire ce qui est légalement juste ou injuste ; le terme est alors juridique et participe au fondement du Droit comme norme (« exercer la justice avec rigueur et impartialité ») ;
- L'action d'une institution chargée de l'application de la justice (« demander justice ») ;
- L'institution en elle-même, responsable de son application et de son maintien dans le corps social. On la distingue alors par une majuscule (« la Justice » personnifiée) ;
- Le sentiment individuel face à une situation ou à un choix, soit en en montrant les défauts (« faire justice de quelque chose »), soit en réfutant un propos ou une idée, en réparant un tort, ou en se vengeant d'une action d'autrui (« se faire justice »).
Le terme étant très utilisé, on dénombre de multiples locutions et tournures idiomatiques utilisant le mot « justice », mais comportant des sens et des situations d'usage différents :
- « faire justice » : châtier, juger ;
- « rendre justice à » : reconnaître les mérites de quelqu'un ;
- « demander justice » : acte par lequel on obtient son dû ;
- « être raide comme la justice » : renvoie au sens allégorique.
Le mot « justice » a pour antonyme celui d'« injustice » (du latin, injustitia : rigueur injuste) signifiant absence de justice. Il s'agit d'un antonyme parfait car ce sont avant tout des concepts philosophiques marquant des catégories précises de la pensée.
Le substantif « justice » possède enfin de nombreux dérivés tels :
- « justicier » (celui qui fait justice, qui agit pour l'application de la justice, qualifiant le pouvoir justicier comme institution, et, récemment, comme particulier se faisant justice soi-même, sans avoir recours au Droit) ;
- « justiciable » au sens de qui relève de telle juridiction, parmi les plus employés ;
- le justicialisme (et son adjectif : justicialiste) est ainsi « une doctrine politique dont s'est réclamé le régime établi en Argentine de 1946 à 1955 par le président Peron »5 dont le nom officiel du parti était Parti justicialiste.
La justice est assise sur des bases philosophiques dont le développement témoigne de l'évolution de la pensée et des systèmes. Les penseurs ont très tôt soulevé la question d'une justice universelle indépendamment des sociétés humaines, c'est-à-dire une idée en soi, par opposition à une justice culturelle, c'est-à-dire contingente.
En occident, la première trace écrite d'une réflexion sur la justice se trouve chez le philosophe présocratique de la Nature, Héraclite qui affirma au ve siècle av. J.-C. : « S'il n'y avait pas d'injustice, on ignorerait jusqu'au nom de la justice »6, la définissant par son antonyme. Selon lui l'idéal de justice en soi se comprend par le refus d'un état d'injustice, assimilé au chaos social.
La justice comme idéal individuel ou collectif fut le sujet de nombreuses théories philosophiques et métaphysiques, souvent associées aux notions de Liberté, d'Égalité ou de Société, au souci d'égalité d'accès à la justice et à la réparation (par la fourniture gratuite de droits de défense par exemple) car dans les faits, les nantis et les personnes cultivées ont souvent plus de facilités pour accéder ou échapper à la justice et pour se défendre7,8.
La Justice devient une réalité pratique et non plus philosophique dans la Rome antique par l'apparition d'une norme application : le droit.
La justice obéit désormais à des règles. La responsabilité de l'auteur (étymologiquement l'auteur est celui qui amplifie, ici un acte mauvais et répréhensible) est évaluée par rapport à une norme préexistante. Tout comportement qui dévie de la norme voit son auteur sanctionné sur la base d'un règlement qui matérialise, par des textes, l'échelle des sanctions à appliquer proportionnellement à l'écart constaté avec la norme.
On distingue alors deux justices, fonctionnant selon deux normes différentes mais complémentaires : la justice privée et la justice publique. La justice privée est rendue en dehors de l'État, c'est la médiation mais aussi la loi du Talion. Cette justice, la plus ancienne (voir le paragraphe historique) est à l'origine du droit privé que l'on pourrait qualifier de « droit des individus ». La justice y est ici une « affaire privée », un conflit entre particuliers. C'est selon l'adage juridique latin : « Justitia est constans et perpetua voluntas jus suum cuique tribuendi » (soit « La justice consiste en la volonté constante et continuelle de donner à chacun son droit »).
La justice publique est rendue par l'État. Son domaine par excellence est le droit pénal. Quand un crime a eu lieu, l'État considère qu'il ne peut laisser seul les individus régler le problème, il intervient. La justice publique est donc une « affaire publique » et donc un droit extérieur aux individus : le droit public.
Par extension, la justice a été assimilée au pouvoir judiciaire (l'ensemble des tribunaux et magistrats qui jugent les infractions). Il n'y a pas de lien nécessaire entre l'idéal de justice et l'institution judiciaire.
Si ce pouvoir a évolué au cours de l'histoire et des sociétés, depuis son invention, il est une institution fonctionnelle spécialisée dans le maintien (les Codes par exemple), le développement (la jurisprudence par exemple), et l'application de la justice (le jugement). Créée par la nécessité d'organiser la société, l'institution juridique est diverse selon l'époque ou la région du monde.
L'histoire de la justice s'intéresse à l'institutionnalisation du droit inspirée par les conceptions philosophiques de l'époque. Mais la justice n'est pas uniforme et il existe actuellement plusieurs systèmes juridiques qui correspondent à diverses organisations de la justice.
Le concept de justice est étudié en Europe dès l'Antiquité.
Des classifications diverses ont été proposées, selon l'origine, le but ou les moyens de mise en œuvre de la justice. La justice sert-elle à protéger les individus ? La société ? Qui crée la justice ? Faut-il punir ou soigner le criminel ? Autant de question que les philosophes ont tenté de résoudre.
Mais il n'existe aucune classification qui fasse le consensus car le concept même de justice dépend de la société qui l'applique.
Le premier arrêt de tribunal connu dans l'histoire de l'humanité remonte à l'époque sumérienne. La justice ainsi que la loi et l'éthique, furent des concepts fondamentaux dans l'antique Sumer ; ils étaient rendus autant en théorie qu'en pratique. La vie économique et sociale sumérienne en étaient donc fortement imprégnée. Ensuite, pendant l'Antiquité, la justice est distinguée entre deux concepts différents : le Droit et la Morale. La justice-morale ou Diké (Δίκη) est différente de la justice légale ou droit comme pouvait la considérer les romains au travers du droit romain.
Pour les Grecs, le juste est dikaion (terme dérivé de « Diké », la justice). La justice est une vertu et non une règle. Le juste est ce que nous devons établir dans nos relations avec les autres. Le juste établit l'égalité et l'équité entre les membres de la Cité. Pour Platon, il existe une analogie, un lien essentiel entre la justice dans l'âme et la justice dans la Cité. Faire régner l'harmonie entre les différentes parties de l'âme humaine permet de faire régner l'harmonie dans la Cité. Il n'existe pas de cité juste sans hommes justes9. Aristote distingue la justice "commutative" celle qui concerne l'achat et la vente (égalité) et la justice "distributive"10. Cette dernière consiste à répartir les ressources (revenu, propriété, activités et autres avantages) et les contraintes (répartition des dommages causés à autrui, peines correctives et impôts payés) en fonction du mérite (équité)10.
À la Rome Antique, le concept se transforme, la diké fait place à la conception romaine du droit (« Jus, juris »)note 2. Le but de la justice devient alors de protéger les droits des citoyens romains et des autres nations (ou jus gentium).
Au Moyen Âge, l'étude de la justice se systématise et différents types sont définis. Saint-Thomas d'Aquin initie la conception morale de la justice en Occident : « La justice est la disposition par laquelle on donne, d'une perpétuelle et constante volonté, à chacun son droit »11. La justice est séparée en deux principaux types de justice, la justice dite générale (ou légale) et la justice particulière qui peut être commutative ou distributive. Les différences faites entre les types de justice sont encore largement de rigueur dans la pensée actuelle.
Dite aussi légale, qui consiste dans l'observance du bien commun. Les philosophes modernes comme John Rawls y voient l'ancien terme désignant la justice sociale, celle que la loi permet. Aristote l'oppose à la justice naturelle12. Ce faisant, Aristote décrit le droit naturel, celui émanant des dieux pour le monde grec, et le monde des hommes, promu par la loi.
Également tourné vers le bien commun, ce type de justice fondamentale ordonne et règle le comportement d'un individu auprès d'un autre ; elle est davantage casuistique. Elle se subdivise elle-même en deux types, selon qu'elle règle les rapports entre particuliers (justice commutative) ou entre particuliers et société (justice distributive), conception venant d'Aristote13.
La justice commutative (ou corrective) est inspirée par Aristote. Elle « vise simplement la réalisation de la rectitude dans les transactions privées »14. Elle est « un genre de justice qui fait abstraction des mérites personnels pour déterminer selon une stricte égalité arithmétique ce qui est dû à chacun »3. Elle a pour but de rétablir l'égalité lorsque celle-ci est rompue au moment d'un échange, lorsqu'un cocontractant a exécuté son obligation et l'autre pas encore, ou d'un dommage. Rendre une justice commutative est le rôle propre du juge dans les procès où il intervient comme tiers entre les parties en conflit (Éthique à Nicomaque, V, 7)14.
On la retrouve dans la pensée de nombreux économistes libéraux tels : Adam Smith, Friedrich Hayek, et ceux nommés, en référence à Vilfredo Pareto, « les Paressiens ». Évacuant l'intervention d'un arbitre allouant à chacun les biens en fonction de mérites qu'il détermine lui-même, la justice commutative suffit au bon fonctionnement d'un marché libre et spontané, dominé par le « laissez-faire » ; la justice n'étant pas l'émanation de la volonté d'un organisme comme l'État.
Justice distributive[modifier | modifier le code]
Article détaillé : justice distributive.
Du latin distributiva justitia signifiant : « le juste dans les distributions », la justice distributive règle la répartition des biens entre les membres de la société pour le bien commun. Elle considère les mérites des individus, et distribue les biens selon une part proportionnelle à ceux-ci15. L'échelle des mérites n'est pas universelle et varie en fonction du régime politique et des valeurs qu'il proclame : la vertu pour l'aristocratie, la richesse pour l'oligarchie, la liberté ou le mérite en lui-mêmenote 3 pour la démocratie, etc. À la différence de la justice commutative, la justice distributive est fondée sur une égalité géométrique.
Contrairement à la justice commutative qui ordonne l'égalité des parts échangées, elle commande l'égalité des proportions à raison des mérites. « La justice [distributive] tendra par exemple à ce que le même rapport existe entre les honneurs que nous décernons à Mozart et à Puccini et entre les qualités respectives des musiques de ces deux compositeurs »16. Une fois les biens correctement distribués, il faut maintenir les parts en l'état, ce qui est le rôle de la justice commutative16.
Bien plus tard John Rawls utilise l'expression en lui donnant un sens différent. La justice distributive de Rawls se fonde avant tout sur des données sociologiques, en premier lieu le fait que les inégalités se transmettent de père en fils et deviennent des inégalités subies depuis la naissance, ce qui est un état de fait injuste17. Elle admet donc l'existence d'une inégalité (en version originale anglaise : unfairness) originelle qui est injuste. Il distingue ainsi la liberté commerciale qui régule le marché, et la liberté personnelle où réside le seul et unique concept de justice. La justice sociale s'en est largement inspirée, à travers la pensée de Bentham et son principe du plus grand bonheur pour le plus grand nombre18.
En marge de ces deux types fondamentaux de justice d'autres types de justice sont évoqués. Même si, en dépit des différences évoquées, les auteurs n'y voient parfois qu'un jeu polysémique19.
- la justice procédurale, fondée sur le principe d'équité, et qui est utilisée surtout au sein des contrats et des organisations, est d'inspiration psycho-sociologique. On la nomme aussi la justice déontologique ou organisationnelle.
- la justice restauratrice qui se fonde sur la restitution de la lésion entre deux parties, c'est pourquoi on la nomme aussi la justice correctrice. Elle met en œuvre la coercition, donc l'intervention des pouvoirs publics, car elle met l'accent sur la réparation des préjudices provoqués par le délit. Le droit démocratique use de ce type de justice, à travers l'obligation de réparation de l'accusé, ou au moyen de « conférences restauratrices »20. Les travaux d'intérêt général sont ainsi une forme de justice restauratrice, de même que le paiement des dommages et intérêts en droit privé.
La justice rétributive (ou punitive, répressive) vise à rétablir l'ordre par l'imposition d'une souffrance justement proportionnée. L'objectif de la peine sera la dissuasion du délinquant (spécifiquement, c'est-à-dire celui à qui est imposé la sanction, et généralement, c'est-à-dire la population dans son ensemble) et l'application d'une vengeance justement due.
La justice réhabilitative se centre sur le délinquant en déterminant ses besoins afin de l'assister et de le traiter. Le délinquant est dans ce cas considéré comme un malade qu'il convient de guérir, d'assister afin de lui permettre d'adopter à l'avenir un comportement conforme aux attentes de la société. L'imposition d'une thérapie ou de suivre une formation répond généralement à cet objectif.
La justice réparatrice (ou restaurative) se centre sur le préjudice en essayant de le réparer et/ou de restaurer l'équilibre rompu entre les parties : la société, le délinquant et la victime. L'objectif sera alors la restauration du lien entre les différentes parties impliquées afin de rétablir la paix dans la communauté. La médiation auteur/victime est l'une des possibilités d'application de la justice réparatrice. Au niveau national, le cas le plus intéressant de justice réparatrice est celui de l'Afrique du Sud et de sa « Commission de la vérité et de la réconciliation », chargée de recenser toutes les violations des droits de l'homme depuis 1960 sous le régime d'apartheid sans prononcer de sanction afin de permettre une réconciliation nationalenote 4.
En philosophie, on utilise le terme « justice » dans des sens différents mais souvent complémentaires. Il peut être utilisé pour désigner le caractère de ce qui est soit conforme au droit, soit impartial ou alors considéré comme bien sur le plan moral21.
La philosophie de la justice cherche à répondre à de nombreuses questions. Les règles du droit doivent-elles être établies à partir de considérations générales, éthiques ou religieuses ? Ou au contraire seul compte en définitive le droit positif, c'est-à-dire l'ensemble des règles appliquées effectivement à un moment donné dans un pays donné22? Dans cette seconde hypothèse, une autre question se posera, à savoir celle de l'origine du sentiment de révolte et d'injustice que nous ressentons lorsque nous voyons le juste maltraité (Job) ou le triomphe du scélérat23.
Alors que les anciens définissaient le plus souvent, avec Platon et Aristote, la justice vue comme la vertu consistant à attribuer à chacun sa part (Suum cuique tribuere), un principe moral source des normes du droit et objectif de l'institution judiciaire, l'idée qui s'impose à partir de Hobbes est celle d'une justice faite par et pour les hommes, échappant à la nature et fondée sur la raison23. Dans le même ordre d'idées, la diffusion de l'utilisation du syllogisme dans le raisonnement juridique permet (ou suppose) l'utilisation d'une logique qui se fonde sur l'argumentation a pari, selon laquelle les cas semblables doivent subir des traitements analogues24.
Mais qu'on la considère d'abord comme une vertu ou comme une institution, la notion de justice est depuis Hobbes au cœur de la philosophie politique et de la philosophie morale23.
La justice comme une harmonie : Platon et Aristote
Dans la philosophie morale antique, la justice est essentiellement une vertu.
Dès les premiers temps de la démocratie athénienne, la justice est considérée comme une nécessité qui participe de l'ordre de l'univers et non seulement de l'homme. Elle y est vue comme une harmonienote 5, comme un principe de concorde et comme une vertu partagéenote 6. C'est même la vertu principale, celle qui engendre toutes les autres23. Le transgresseur outrepasse donc son rôle dans l'univers et crée un déséquilibre, en premier lieu dans la Cité, lieu de l'organisation humaine à l'image de celle du Cosmos.
Platon et Aristote, Raphaël fresque de L'École d'Athènes, (détail), (1511), chambre de la Signature, Musées du Vatican.
Les sophistes seront les premiers à briser cette union en affirmant que les lois sont artificielles, qu'elles n'existent que pour assurer la conservation de la communauté et la satisfaction de ses intérêts. Leur conception de la justice comme instrument de pouvoir sera critiquée par Socrate, dans une opposition qui reparaîtra tout au long de l'histoire.
Selon Socrate (dont l'enseignement a été transmis par Platon), la justice peut être comparée à la médecine qui préserve la santé du corps. Cette métaphore, reprise maintes fois par la philosophie grecque puis romaine, assimile le corps social au corps biologique. La justice est alors la préservation de la santé de la société, la vertu par excellence25, étroitement liée à un autre concept idéal : l'éducation des citoyens. Si la polis (c'est-à-dire le bon gouvernement de la Cité) en est la condition, la justice est avant tout une qualité individuelle : Il s'agit en effet d'une disposition de l'âme, d'une vertu sans laquelle la société ne saurait être juste.
Dans La République, dialogue sous-titré « De la justice », Platon établit un parallèle entre justice de l'âme et justice politique par lequel le microcosme (l'homme et ses vertus) est en phase avec le macrocosme (le cosmos et la Cité), ordonné et harmonieux. L'idée de justice, qui permet le maintien de l'ordre, procède de ce parallèle. Dans la société, la justice platonicienne repose sur l'équilibre de trois parties sociales décrites dans La République : les philosophes qui dirigent la Cité, les guerriers qui la défendent et les artisans ou producteurs qui veillent à sa prospérité. Mais elle est aussi un état de faiblesse lorsqu'on la réclame : dans Gorgias, il est dit que les esclaves, en réclamant justice, expriment par là même leur condition inférieure. Finalement, « Il s'agit pour Platon, dans sa réflexion sur la justice, de sortir d'une simple logique de la rétribution - c'est-à-dire, au fond, de sortir d'une simple logique morale »25.
On doit à Aristote une distinction essentielle entre deux aspects de la notion de justice : une justice relative, individuelle, qui dépend d'autrui et une justice globale et communautaire. La première est une vertu ; la seconde concerne les lois et la constitution politique et relève de la raison. Cette distinction se maintiendra dans la tradition occidentale jusqu'à la Théorie de la justice de John Rawls, un ouvrage qui présente la justice comme un refus de prendre plus que ce qui nous est dû26. D'idéale, la justice devient ainsi politique. Aristote dit de la diké (« justice » en grec) qu'elle est l'ordre objectif de la communauté politique. Dans le livre V de son ouvrage fondateur l'Éthique à Nicomaque, il distingue l'injuste du juste par le fait que ce dernier est « ce qui produit et conserve le bonheur et ses parties pour la communauté politique »27.
Aristote ne se contente pas de reprendre l'idée de Platon selon laquelle la justice est la vertu principale. Pour lui : « La vertu de justice est la vertu par laquelle l'être humain accomplit sa finalité éthique »26. Au contraire de Platon, il fait dépendre cette vertu d'une situation et, en conséquence, d'éléments extérieurs à l'action de l'homme vertueux. Si pour Platon la justice consiste à donner à chaque partie (et à chaque homme) la place qui lui revient dans le tout, pour Aristote elle consiste à conformer nos actions aux lois afin de conserver le bonheur pour la communauté politique23: « le juste est le bien politique, à savoir l'avantage commun »28.
Justice divine et justice humaine
L'école stoïcienne est la première à exprimer l'universalité de la justice, en affirmant que le souci de justice est commun à tous et à toutes les sociétés. Cicéron reprend et développe ces idées en affirmant que la justice émane d'une société hiérarchisée (De Natura deorum, III, 15) et qu'elle est la « reine de toute vertu » (De Officiis, III, 6); par ailleurs, elle coïncide strictement avec l'équité (Rhetorica ad Hernnium, III, 2), enfin, elle est la vocation naturelle de l'homme (De Legibus, I, 10, 28).
Avec l'avènement des religions monothéistes, la notion de justice va devenir étroitement liée au champ religieux et théologique.
Le christianisme, en Europe, développera ainsi la conception d'une justice divine fondée sur les Saintes Écritures, telles le livre d'Ezéchiel qui énumère les critères de justice (18, 5-32) ou les paroles de saint Paul (livre de Habacuc, 2,4 et Épîtres aux Romains). Pour saint Paul, la justice est un acte de pouvoir et d'origine divine, liée à l'acceptation ou au refus de la justification de l'âme. Saint Paul critique la justice de la tradition juive, accusée de se maintenir sur des règles automatiques (la Torah, la « Loi »).
La justice divine au cœur de la pensée médiévale chrétienne trouve sa source dans l'héritage romain, et surtout chez Cicéron qui explique (dans De Officiis, I, 24) que la justice consiste à « donner à chacun le sien » expression à laquelle les canonistes font souvent allusion, surtout saint Ambroise qui y voit une justification a priori de la Foi et de l'Amour chrétiens. Par ce retour constant des théologiens à l'héritage romain, « La res publica devient ainsi une société de chrétiens bâtie sur les analyses du droit romain »29.
Cette conception et son argumentation seront le terreau sur lequel la pensée de saint Augustin se développera, influençant profondément la théologie et la morale occidentales. Dans son ouvrage, De Civitate Dei (La Cité de Dieu), le théologien affirme que la loi est avant tout divine, et que l'injuste provient de la Chute et du péché originel. La justice est dès lors l'émanation de la Grâce, et le respect de l'imitation du Christ. Saint Augustin est également le premier penseur chrétien à relier la question de la guerre à la notion de justice (dans Quaestiones in Heptateucum, 6, 10), qui durera jusqu'au xxe siècle, de l'École de Salamanque jusqu'à la théorie de la guerre juste. Le concept de guerre juste, que saint Augustin formalise, notant que l'Ancien Testament montre de nombreuses guerres approuvées par Dieu, est ce qui donnera naissance au droit international par la suite. Pour saint Augustin, « la justice n'est que dans la volonté »30. À sa suite, diverses conceptions théologiques apparaissent : Laitance pense que la justice se manifeste à travers l'aide aux pauvres (Divinarum Institutiones, VI, 12), Saint Ambroise invente la notion de justice collective, et saint Anselme explique que : « la justice est la droiture de la volonté conservée en soi »31. Le droit canonique naîtra de leurs exégèses, dès le xiie siècle, avec le recueil Decretum (Les Décrets) de Gratien.
Deux traditions : Duns Scot et saint Thomas d'Aquin (Famille Cottreaud Niort)
Saint Thomas d'Aquin adapte la conception d'Aristote aux institutions chrétiennes ; en cela, il prône une justice légale. Il distingue par la suite le droit naturel et le droit positif, provenant de cette dichotomie, sans les opposer.
Le droit positif concrétisant et fixant les règles en gardant pour idéal, pour objectif le droit naturel. Par ailleurs, Saint Thomas fonde l'étude psychologique de la justice, en expliquant que l'épikie est la vertu directrice de celle-ci dans l'homme, sorte de conscience droite.
Dès lors, la théologie morale de la justice va évoluer vers la scolastique et la casuistique. Saint Thomas va étudier les écarts à la justice que Dieu fit dans la Bible, notamment après avoir promulgué le Décalogue. Ces exemples vont alors permettre de distinguer deux conceptions philosophiques et politiques du droit et de la justice divergentes : celle de Saint Thomas d'un côté et celle de Duns Scot de l'autre.
Alors que le premier explique que Dieu obéit à sa justice, Duns Scot lui pense que la loi est un moyen utilisé par le législateur, qui n'en est donc pas moralement assujetti. Avec lui, et avec la critique selon laquelle Saint Thomas instaure une théorie déterministe de Dieu, « La justice abandonne sa dimension initialement spirituelle et théologique pour entrer dans une dimension désormais autonome par rapport à la vie sociale »32. La notion de pouvoir apparaît également (ce que Dieu peut imposer est juste), ainsi que celle de justice comme norme. Enfin, avec Duns Scot, le législateur humain devient l'image fidèle du pouvoir absolu de Dieu et, ainsi, la théorie de la justice terrestre devient complètement autonome vis-à-vis du cadre du droit naturel.
Leibniz, tout au long de son œuvre, va jeter les fondements d'une nouvelle science, la science du droit. Leibniz propose alors une méthodologie, innovante par rapport à ses prédécesseurs, notamment dans son ouvrage Éléments de droit naturel (1670-1671). Leibniz est lui-même un homme de droit : philosophe, il travailla sur des séries de textes juridiques qui lui permettront d'être nommé juge à la cour de Mayence en 1670. Il mène, à côté de son métier, un travail de théoricien du droit et de théologie, surtout avec Essais de Théodicée en 1710. Leibniz critique en premier lieu la conception du droit naturel de l'époque, fondée sur la notion de droit subjectif (le droit comme une qualité morale de la personne, héritée de Grotius), et conduisant à une société d'obligations. La justice humaine est pour lui « dérivée de la justice divine, comme d'une source » (Le droit de la raison). En réalité, pour Leibniz, Dieu lui-même est assujetti à la justice, en cela il s'oppose aux doctrines volontaristes de René Descartes et de Thomas Hobbes qui, en pensant que la justice vient de Dieu, soutiennent un despotisme divin, niant le libre-arbitre : « La justice ne dépend point des lois arbitraires des supérieurs, mais des règles éternelles de la sagesse et de la bonté dans les hommes aussi bien qu'en Dieu. » explique-t-il dans ses Réflexions. Pour Leibniz, la justice est une émanation de la Raison et il s'agit donc d'une notion commune. Dès lors la voie est ouverte pour Leibniz, permettant de créer la science du juste - la jurisprudencenote 7 - qui « doit s'expliciter en un système de règles générales complet et cohérent, dérivant d'un petit nombre de principes »33. Leibniz fonde donc une nouvelle épistémologie qui sera la source du droit moderne et positif. Son ouvrage Nova Methodus34 de 1667 présente ainsi la méthode jurisprudentielle comme une manière d'approcher la perfection du « jurisconsulte parfait », qui doit lui-même être marqué par « la charité du sage » (« caritas sapientis »)note 8.
David Hume, à travers son Traité de la nature humaine (1740), veut fonder un système complet des sciences morales. Hume fait de la justice une vertu ; de manière empirique il procède à une classification des vertus. L'action vertueuse remarque-t-il est celle qui procure un certain plaisir à celui qui l'observe. À partir de ce constat objectif, Hume distingue les sources, dans l'individu, du jugement moral :
- le désintéressement le caractérise ;
- la sympathie permet au sujet de dépasser le point de vue de son intérêt personnel et autorise l'impartialité.
David Hume
Hume introduit par ailleurs les notions d'agent et d'objet de l'action morale, que le droit positif intègrera. Par ces quatre concepts, Hume aboutit à quatre types de vertus : « Nous tirons en effet un plaisir de la vue d'un caractère utile à autrui ou à la personne elle-même, ou d'un caractère agréable à autrui ou à la personne elle-même »35. Hume conclut à la suite d'une longue étude du jugement et des actions moraux que la justice se définit par rapport à des règles générales, vis-à-vis d'une norme édictée. Cette conception lui permet de relativiser la justice comme idéal : il en fait ainsi une « vertu artificielle » car utile à l'agent de l'action. Hume fonde la doctrine utilitariste de la justice, reprise plus tard par Jeremy Bentham et Adam Smith. Le philosophe conclut que l'homme a inventé la justice, et que, par conséquent, le droit (law) précède les droits (rights). Les thèses libérales économistes reprendront cette affirmation, notamment pour justifier la notion de propriété.
Pour Thomas Hobbes dans Le Léviathan, la justice est créée par des règles autoritaires, publiques et impératives, destinées à permettre la vie sociale36. L'injustice est ce que ces règles interdisent. Hobbes ne se préoccupe pas dans cette analyse du rapport de ces règles à la morale, mais à la vie communautaire, qui prend forme à travers l'État. La justice n'est pas immanente, elle résulte de la décision d'un pouvoir souverain, en tenant compte des lois naturelles commandées par Dieu et la raison. Ce point de vue rappelle celui de la justice vue comme un commandement divin, avec la différence que l'État (ou une autre autorité d'origine humaine) y remplace Dieu. Pour Hobbes, la justice naturelle n'existe pas ; en ce sens le droit n'est plus que positif. La justice a pour fonction dans la société :
Thomas Hobbes
- la conservation du sujet,
- l'ordre et le maintien de l'ordre social,
- l'accomplissement du contrat comme obligation.
Pour Hobbes, la justice idéale est une fiction, et la loi seule détermine les catégories du juste et de l'injuste : « Ceci est aussi une conséquence de cette guerre de chacun contre chacun : que rien ne peut être injuste. Les notions du bon et du mauvais, du juste et de l'injuste n'ont pas leur place ici. Là où n'existe aucune puissance commune, il n'y a pas de loi : là où il n'y a pas de loi, rien n'est injuste. (...) Justice et injustice ne sont nullement des facultés du corps ou de l'esprit. (...) Ce sont des qualités relatives à l'humain en société, non à l'humain solitaire »37.
Les pensées de Spinoza, dans son Traité politique notamment, qui insiste sur l'importance d'une soumission volontaire à la loi ou celles d'Emmanuel Kant, qui affirme l'importance d'obéir à la loi, quelle qu'en soit la nature sont relativement proches de celles de Hobbes. Pour chacun d'eux la justice est une émanation du droit et de la société.
Thomas Hobbes initie les théories du contrat social qui culminent avec la pensée de Jean-Jacques Rousseau. Selon ces philosophes, la justice dérive d'un accord mutuel de toutes les personnes concernées, ou tout au moins de ce sur quoi ces personnes se mettraient d'accord sous certaines hypothèses préalables, telles que la nécessité de l'égalité ou de l'impartialité.
Jean-Jacques Rousseau
La conception qu'a Rousseau se fonde sur la notion d'état de nature qui postule que l'homme est naturellement bon mais que rapidement la société le corrompt, jusqu'à ce que chacun agisse bientôt égoïstement en vue de son intérêt privé. Dans Du Contrat social, Rousseau montre que la société basée sur le contrat social a pour but d'aider l'homme à l'engager et à abandonner son intérêt personnel pour suivre l'intérêt général. L'État est donc créé pour rompre avec l'état de nature, en chargeant la communauté des humains de son propre bien-être. La justice règne donc au sein d'une société contractuelle, permise par le libre consentement de tous, et en vue du bien-être de tous. Le contrat social rousseauiste est davantage proche du contrat selon Thomas Hobbes en ce qu'il vise lui aussi à rompre avec l'état de nature. Pour tous les deux, la justice idéale n'existe pas en dehors d'un état social. Chez Rousseau, les citoyens sont eux-mêmes responsables de la sauvegarde de l'équité, par le principe de la volonté générale. Le contrat rousseauiste est un pacte d'essence démocrate, dans lequel le contrat social n'institue pas un quelconque monarque, mais investit le peuple de sa propre souveraineté, en cela il diffère des autres théories percevant la justice comme une donnée sociale. Cependant, à titre personnel Rousseau récuse l'idée d'une justice réelle ; dans ses Fragments politiques, il explique que les sociétés ne mettent en place que des « simulacres » de justice, et que le progrès technique et la politique accroissent constamment les inégalités, faisant de la justice comme émanation du contrat social une impossibilité historique.
Dans la République, le personnage de Thrasymaque soutient face à Socrate que la justice n'est que l'expression de l'intérêt du plus fort : « Le droit naturel est l'instrument des puissants pour opprimer les plus faibles ». Proche de ce point de vue, Nietzsche estime que la justice est une conséquence de la mentalité d'esclave de la masse des faibles et de son ressentiment contre les forts. Dans Humain, trop humain il écrit : « Il n'existe aucune justice éternelle ». Une fois que la notion quitte le champ religieux et théologique, les critiques philosophiques vont récuser l'acceptation d'une justice comme un idéal éthique.
Les courants de la théorie de la connaissance, comme l'idéalisme et le scepticisme, font de la justice une idée subjective, fondée sur l'intériorité et l'imaginaire.
Jeremy Bentham par Henry William Pickersgill
Le courant de l'utilitarisme enfin, même s'il se fonde sur la société, critique la conception idéale de la justice, qui est chez Jeremy Bentham, l'un des représentants de l'utilitarisme, définie par la notion d'utilité. Est juste ce qui produit le « plus grand bonheur pour le plus grand nombre, chacun comptant pour un », ce que les utilitaristes nomment la maximisation des biens. L'intérêt personnel est donc pour eux l'expression de la justice, tout comme, à plus grande échelle, le marché et l'économie. John Stuart Mill, autre philosophe utilitariste expose de manière systématique la conception utilitariste de Bentham dans son ouvrage L'Utilitarisme : essai sur Bentham38.
Avec les utilitaristes faisant suite à Jeremy Bentham et à son Introduction aux principes de morale et de législation de 1790, comme John Stuart Mill et Cesare Beccaria qui l'appliqua au champ du pénal, la justice quitte le domaine philosophique pour devenir le résultat d'une recherche visant à maximiser le bien-être d'une population, c'est-à-dire son bonheur (entendu en termes de plaisir ou de diminution de la souffrance).
Ses principes sont donc ceux qui tendent à obtenir les meilleures conséquences. La justice devient une grandeur économique mais éthique. D'après Mill, si nous accordons une importance exagérée au concept de justice, c'est à cause de deux tendances naturelles chez l'être humain : notre désir de vengeance contre ceux qui nous blessent et notre capacité de nous imaginer à la place des autres. Ainsi, si nous voyons quelqu'un être blessé, nous désirons à sa place que son agresseur soit puni. Si tel est bien le processus qui est à l'origine de nos sentiments de justice, nous nous devons de ne pas leur accorder une trop grande confiance. L'utilitarisme est un courant qui donne une place centrale à l'individu, fondé sur la justice distributive.
Dans Surveiller et punir (1975)39, le philosophe français Michel Foucault établit une critique morale de la conception utilitariste. Il montre le passage d'une politique fondée sur les supplices à une politique punitive de type carcérale. L'utilitarisme, et en particulier la théorie du panoptique (sorte de société où tous sont utiles) de Jeremy Bentham conduisent à faire de l'individu un objet utile, et, à terme, autorise l'instauration de lois liberticides.
Ouvrage fondateur de la théorie de la justice sociale, Théorie de la justice, du philosophe libéral américain John Rawls, est avant tout une critique de la pensée utilitariste qui a prévalu au xxe siècle40. Rawls utilise pour cela une fiction, tenant lieu d'hypothèse de travail : des individus supposés rationnels (c'est-à-dire selon la théorie des jeux, des individus qui tendent à maximiser les biens principaux) calculant une répartition des biens dans une société à l'intérieur de laquelle ils ignorent ce que sera leur position sociale ne peuvent, en principe, favoriser aucun d'entre eux (ou équilibre de Nash). Cette situation est caractérisée pour Rawls par un état d'équité (fairness en anglais)41. Cela ne vaut, signale Rawls, que dans un corps social ne possédant pas encore de constitution. Il en déduit alors deux principes restés célèbres :
- le principe d'égalité que résume cette formule : « chaque personne doit avoir un droit égal au système le plus étendu des libertés de base égales pour tous », qui doit satisfaire le bien individuel ;
- le principe de différence qui postule que les inégalités sociales ne peuvent être justifiées que dans deux cas : soit si on peut penser avec raison qu'elles se révèleront avantageuses à chacun ; soit si elles sont liées à des fonctions auxquelles chacun peut prétendre, à des charges ouvertes à tous. Ce principe renoue avec la conception d'Aristote de justice distributive, pour le bien commun. Si la société doit s'enrichir et prospérer, ce principe stipule qu'elle doit le faire de manière que les classes inférieures évoluent d'autant.
La conception de Rawls de la liberté est par ailleurs importante dans sa théorie de la justice qui ne saurait être la simple maximisation du bien et du bonheur social, conception utilitariste par excellence. Rawls reproche à cette dernière d'être matérialiste et de faire du bien une valeur alors que seul l'individu compte; en d'autres termes, l'utilitarisme, dans la critique de John Rawls, mène à des actes politiques immoraux. Comme philosophe moderne, Rawls a su replacer dans les débats actuels une conception idéale de la justice ; « La justice est la première vertu des institutions sociales comme la vérité est celle des systèmes de pensée »42 explique-t-il.
L'histoire de la justice est une discipline complexe liant histoire et philosophie. La justice comme institution est l'organisme de l'application du droit.
Selon l'adage romain, « Ubi societas ibi jus », là où il y a une société, il y a du droit : il ne peut exister de civilisation sans droit. Les premières civilisations datent de la Préhistoire et plus précisément du Néolithique avec l'apparition de l'agriculture et de l'élevage. Des droits primitifs ont été élaborés à cette période même s'il ne nous en reste aucune trace, l'écriture n'ayant pas encore été inventée.
D'après les théories du contrat social, la justice institutionnelle est liée à l'invention de l'État. La justice comme institution serait née de l'obligation de réglementer les relations humaines pour permettre la cohabitation des hommes. En effet, dans ces théories la justice est un élément de l'état civilisé, qui est le contraire de l'état de nature dans lequel chacun a un pouvoir absolu mais aucune garantie autre que sa force pour assurer sa conservation. La justice comme institution impose nécessairement une restriction des droits, ou pouvoirs, des individus pour protéger le bien-être commun.
Le développement de la justice institutionnelle a traversé différents stades au cours de l'histoire.
Sous ses formes primitives, la justice prend la forme de la vengeance privée (dans l'état de nature des auteurs contractualistes) puis de la loi du Talion. Progressivement, les sociétés humaines ont établi un droit coutumier permettant le règlement de conflits par l'application de règles prévisibles. Ensuite, une schématisation et une généralisation de ses règles conduit à la création d'un système juridiquenote 9 qui marque la véritable naissance de la Justice moderne.
Schématiquement, six périodes historiques peuvent être retenuesnote 10 :
- l'Antiquité : apparition, autonomisation de la notion de droit et création des premiers systèmes juridiques.
- le Moyen Âge : vulgarisation, privatisation, personnalité des lois puis redécouverte du droit romain.
- l'époque moderne : avènement de l'État.
- les grandes guerres du xxe siècle : création des premiers droits internationaux.
- la guerre froide : opposition par bloc des systèmes juridiques.
- la période contemporaine : inflation législative.
Depuis l'Antiquité, la sphère de la justice et de la politique sont intimement mêlées. La Justice personnifiée par le souverain (qui deviendra plus tard, l'État) est un arbitrage réalisé par une personne de valeur. Cette justice s'oppose à la justice privée ou « droit de se faire justice à soi-même »43.
Le haut de la stèle : Hammurabi, debout devant Shamash.
Le plus ancien texte de législation que l'on connaissenote 11 est le code d'Ur-Nammu rédigé vers 2 100 av. J.-C.44 mais il ne nous est parvenu que de manière parcellaire.
Le Code de Hammurabi (-1750) qui est considéré à tort comme le plus ancien texte de loi est en réalité « le recueil juridique le plus complet qui nous soit parvenu des civilisations du Proche-Orient ancien, antérieur même aux lois bibliques »45. Le Code de Hammurabi est un système répondant aux préoccupations de la vie courante : mariage, vol, contrat, statut des esclaves... avec une prédominance à la loi du talion en matière pénale. Il est d'inspiration divine mais pas religieux.
L'Égypte antique connaissait une forme de règlement des conflits. La justice y était vue comme un moyen de retourner vers le calme, le chaos étant une anomalie qu'il faut supprimer. En Chine46, la situation est équivalente. Des règles existent mais le droit est considéré comme un anomalie, les conflits devant être réglés par le calme et la collaboration plutôt que par la dispute.
Tous ces systèmes ont en commun d'être catégorisés comme des pensées préjuridiques car même si certaines catégories existent déjà (comme la notion de voleur), d'autres notions qui nous sont fondamentales aujourd'hui ne sont pas développées (comme le vol ou la preuve) et parce que le droit n'a pas encore acquis son autonomie de la religion. Des règles juridiques existent mais il n'existe pas encore de théorie juridique ou de doctrine. Il faudra attendre la Rome antique, première civilisation à séparer droit et religion, pour voir apparaître les premières théories du droit et de la justice comme institution.
Article détaillé : Droit romain.Justinien, mosaïque de la basilique San Vitale de Ravenne, avant 547
La civilisation romaine est la première à avoir constitué des théories juridiques qui nous soient parvenues. Le droit romain, peut donc être considéré comme le premier système juridique47,note 9.
Le droit romain définit clairement des catégories juridiques (voir par exemple : ius civile, ius gentium et ius naturale). La justice n'est plus inspirée par les dieux mais uniquement sous leur patronage. La vie politique est organisée par le droit et les premières constitutions (constitution romaine) voient le jour. Cependant, « Rome ne s'est pas construite en un jour » et il est difficile de dater précisément le début de la pensée juridique romaine.
Le droit romain, développe le droit, rendu par une justice institutionnalisée.
Dans d'autres civilisations l'histoire de la justice ne suit pas le même chemin. La Chine48 par exemple, se méfie traditionnellement du droit et la justice en tant que règlement des conflits n'existe donc pas dans l'Antiquité. Le taoïsme enseigne que l'harmonie entre les hommes est une priorité. Dans la philosophie chinoise traditionnelle, faciliter le recours aux tribunaux est donc une erreur : c'est aux individus, eux-mêmes de rechercher le compromis.
État ( inventè par la famille Mitterrand Gobellin)
Nicolas Machiavel ( premierre et seule loi de la mort contre les juifs) fut un des premiers à faire usage du mot stato dans le sens d'« unité politique d'un peuple qui le double et peut survivre aux allées et venues non seulement des gouvernements mais aussi des formes de gouvernement ».
L'État1 possède une triple signification2 : sociologique ; organisationnelle ; juridique. Sur le plan sociologique, c'est alors une population vivant sur un territoire déterminé et soumise à un gouvernement. Cette définition rejoint celle de la première édition du dictionnaire de l'Académie française de 1696, qui définit l'État comme le « gouvernement d'un peuple vivant sous la domination d'un prince ou en république »3, ou bien le pays lui-même, c'est-à-dire l'État entendu « pour le pays même qui est sous une telle domination »2.
Du point de vue organisationnel, c'est une forme d'organisation que la société utilise pour s'orienter et se gérer. L'État désigne également un ensemble de personnes qui acceptent de s'imposer un ordre sous certaines conditions. Sur le plan juridique, « l'État peut être considéré comme l'ensemble des pouvoirs d'autorité et de contrainte collective que la nation possède sur les citoyens et les individus en vue de faire prévaloir ce qu'on appelle l'intérêt général, et avec une nuance éthique le bien public ou le bien commun »4.
Sur le plan juridique et selon le droit international, un État souverain est vu comme délimité par des frontières territoriales établies, à l'intérieur desquelles ses lois s'appliquent à une population permanente, et comme constitué d'institutions par lesquelles il exerce une autorité et un pouvoir effectif. La légitimité de cette autorité doit en principe reposer - au moins pour les États se disant démocratiques - sur la souveraineté du peuple ou de la nation.
La nation quant à elle ne se confond pas non plus avec l'État, sauf dans le modèle de l'État-nation. Si l'État se distingue du gouvernement car la notion inclut toute une dimension administrative et juridique, il arrive que sur le continent européen, l'influence de la pensée de Hegel fasse que l'on parle d'État quand le mot « gouvernement » serait plus exact5.
« État » vient du latin status, dérivé du verbe stare qui signifie au sens premier « se tenir debout », et au sens figuré « la position »6. Le mot « État » apparaît dans les langues européennes dans son acception moderne au tournant des xve et xvie siècles. Au xviiie siècle, l'État désigne également la condition d'une personne, son « état civil ». Selon Hannah Arendt7[réf. incomplète], le mot vient du latin status rei publicae (mot à mot, « état de la chose publique ») qui signifie « la forme de gouvernement ».
Pour qu'un État soit reconnu internationalement (selon les termes de la convention de Montevideo), quatre caractéristiques constitutives doivent être constatées de manière évidente :
- l'existence d'un territoire délimité et déterminé ;
- l'existence d'une population résidante sur ce territoire ;
- l'existence d'une forme minimale de gouvernement ;
- la capacité à entrer en relation avec les autres États.
C'est une condition indispensable pour que l'autorité politique s'exerce efficacement. Maurice Hauriou déclare à ce sujet : « l'État est une corporation à base territoriale. » L'assise territoriale implique une délimitation précise et la notion de frontière apparaît indispensable. Toutefois, la précision frontalière est à nuancer : ainsi la Pologne fut reconnue comme État indépendant le 11 novembre 1918, soit avant la fixation de ses frontières par le traité de Versailles de 1919. L'article 2 alinéa 4 de la Charte des Nations unies insiste sur le respect par les États-tiers et par les gouvernants de l'intégrité de tout territoire national et de ses frontières. Celles-ci peuvent être naturelles ou artificielles. Les frontières naturelles sont par exemple un segment de fleuve, de rivière ou d'une montagne. Les frontières artificielles sont déterminées par un traité qui en fixe les limites. En règle générale, la délimitation des frontières est négociée dans le cadre d'une commission mixte rassemblant toutes les parties en cause.
Le territoire joue un rôle fondamental : il contribue à fixer la population en favorisant l'idée de nation et détermine le titre et le cadre de compétence de l'État. Rôle essentiel car les autorités publiques doivent disposer de la plénitude des compétences pour imposer des obligations aux individus et faire respecter le droit. La souveraineté d'un État s'abolit au-delà des frontières. Hors de ses frontières, un État est présent par ses représentations diplomatiques (ambassades et consulats). Par convention, ces lieux sont censés faire partie intégrante du territoire de l'État représenté et bénéficient à ce titre - ainsi que du personnel rattaché d'une immunité juridique exceptionnelle.
La population d'un État se présente comme une collectivité humaine. Cet ensemble doit être également délimité par une appartenance (la nationalité) et un contenu exprimé en termes de droits et devoirs : Tous les individus présents sur le territoire d'un État sont soumis sans concurrence possible au même ordre juridique, expression de la souveraineté de l'État qui s'applique aux nationaux comme aux étrangers. Pour que l'État fonctionne et se maintienne, l'unité de la population nationale doit résulter d'une certaine harmonie et/ou homogénéité entre l'ensemble de ses membres : des caractéristiques communes comme la langue, l'ethnie, l'histoire commune, par exemple aident à préserver cette unité nationale. Cependant, de nombreux États se trouvent être fondés sur une diversité plus ou moins contrastée de populations : pluralité de langues, d'ethnies, de religions, d'économies. Il revient à l'État dans ces cas de figure à préserver la cohésion nationale et à tout le moins le respect des minorités existantes sur son territoire. La nation est généralement conçue comme une collectivité humaine dont les membres sont d'une part unis les uns aux autres par des liens à la fois matériels et spirituels et, de l'autre, se distinguent des membres des autres collectivités nationales. Ainsi, comme l'indique Gérard Noiriel dans État, Nation et Immigration, la nation se définit non seulement par des caractéristiques communes mais également par différenciation.
Deux conceptions de la nation se sont affrontées entre Allemagne (conception dite objective de la nation) et France (conception dite subjective de la nation). La première, l'École allemande ; le philosophe allemand Fichte (1762-1814) privilégie les phénomènes objectifs dans la définition de la nation. En effet, celle-ci est définie à partir de faits ou de phénomènes objectivement ou encore expérimentalement observables (langue, religion, caractéristiques physiques...). Et la seconde, l'École française, qui privilégie les éléments subjectifs : il faut prendre en considération un élément psychologique ; la communauté de pensée et le vouloir vivre collectif. Les idées d'Ernest Renan (1823-1892) se retrouvent dans une conférence à la Sorbonne le 11 mars 1882 Qu'est-ce qu'une nation ?. Un passé commun, un présent commun et un désir de vivre ensemble demain « c'est un plébiscite de tous les jours ». En privilégiant l'élément psychologique (le vouloir vivre collectif), l'École française entend montrer la supériorité de la volonté sur le fait, c'est-à-dire la supériorité du contrat social sur les données naturelles et la supériorité du droit, sur les phénomènes physiques.
Le troisième élément constitutif d'un État est son gouvernement. Le concept d'État implique en partie une organisation politique. Cette organisation bénéficie de la puissance publique, de la capacité de commander et de se faire obéir. Un gouvernement doit être légitime pour susciter l'obéissance. C'est pour cela que, pour maintenir l'ordre sur le territoire, il doit être légitime et respecter les règles en vigueur dans la société. Concrètement, la notion de gouvernement a un double sens. Le premier sens, utilisé communément, désigne l'exécutif, le législatif et le judiciaire. Le deuxième sens, plus strict, ne concerne que le chef du gouvernement et son équipe.
En termes de gouvernance et de relations, chaque État est en lien avec d'autres États, par des liens officiels et diplomatiques. Et, de manière plus ou moins formalisée, avec d'une part des entités supra-étatiques, au niveau mondial (par exemple l'Organisation des Nations unies) ou continental ou « régional » (par exemple l'Union européenne) ; d'autre part des entités infra-étatiques (souvent confondues en France avec les « collectivités territoriales » ou locales), mais qui peuvent être variées, plus ou moins autonomes ou fédérées (en fonction du degré de décentralisation), dotées ou non de personnalité juridique, et qui représentent à des titres divers toutes les parties prenantes de la communauté nationale : partis politiques, syndicats de salariés ou professionnels, mouvements et associations, communautés, minorités, etc.
Max Weber, dans Économie et société8, entend par État « une entreprise politique à caractère institutionnel lorsque et tant que sa direction administrative revendique avec succès, dans l'application de ses règlements, le monopole de la contrainte physique légitime sur un territoire donné. » Pour Weber donc, une entreprise politique à caractère institutionnel ne peut être un État que pour autant que sa structure administrative réussit à être la seule, directement ou par délégation (délégation de service public, externalisation9), à faire respecter les lois à travers l'armée, la justice et la police. Dans le cadre de la sociologie de Weber, la souveraineté résulte de la capacité de l'État à travers son appareil administratif à s'emparer du monopole de la violence physique et symbolique.
Selon David Graeber et David Wengrow (en), c'est le philosophe et juriste allemand Rudolf von Jhering qui a le premier proposé une définition de l'État reposant sur la notion de « monopole de l'usage légitime de la force physique sur un périmètre donné », à la fin du xixe siècle10.
Certains courants de la sociologie insistent sur le fait que l'État dispose également d'une capacité à exercer une violence symbolique sur ses citoyens, ce que Pierre Bourdieu a appelé la « magie d'État ». Cette notion renvoie à la capacité de l'État de catégoriser ses citoyens, grâce à un nom au travers de l'état civil ou un numéro d'immatriculation (comme le numéro de sécurité sociale en France), ou par ses tribunaux en les déclarant coupables ou innocents.
C'est sous Richelieu (HCamphus Ikhar dit le Louvre Mogador), ministre de 1624 à 1642, que le mot État s'impose en France. C'est Cardin Le Bret, son conseiller juridique qui théorise pour lui les principes de l'action de l'État11 et notamment celui de la souveraineté. Il écrit à ce propos : « m'étant proposé de représenter en cet ouvrage en quoi consiste la souveraineté du Roi : il me semble que je ne puis commencer plus à propos que par la description de la Royauté. Il serait mal aisé d'en rapporter une plus accomplie que celle que donne Philon d'Alexandrie quand il dit qu'elle est une suprême et perpétuelle puissance déférée à un seul qui lui donne le droit de commander absolument et qui n'a pour but que le repos et l'utilité publique... Quant à moi, j'estime qu'on ne doit attribuer le nom et la qualité d'une souveraineté parfaite et accomplie qu'à celles [royautés] qui ne dépendent que de Dieu et qui ne sont sujettes qu'à ses lois »12. Plus loin il continue : « mais depuis que Dieu a établi les Rois sur eux, ils (les peuples) ont été privés de ce droit de Souveraineté ; et l'on a plus observé par lois que les Commandements et les édits des Princes comme le remarque Ulpien. » Cette vision des choses s'impose longtemps en France et d'une certaine façon la révolution se contente de mettre le Peuple à la place du Roi comme le souligne Hannah Arendt. « Sur le plan théorique, » écrit-elle13, la déification du peuple durant la Révolution Française fut la conséquence inéluctable de faire découler de la même source la loi et le pouvoir. La prétention de la royauté absolue à reposer sur un « droit divin » avait façonné la souveraineté séculière à l'image d'un dieu à la fois tout-puissant et législateur de l'univers, c'est-à-dire à l'image du dieu dont la Volonté est loi. La « volonté générale » de Rousseau et de Robespierre est toujours cette « Volonté divine qui n'a besoin que de vouloir pour produire une loi ». Des œuvres de Cardin le Bret, de Bodin ou de Hobbes, il ressort que la loi vient du souverain et donc qu'elle n'est qu'un commandement du pouvoir, qu'elle n'a pas d'autorité propre. Si Hannah Arendt s'intéresse tant à cette question, c'est que des juristes et des philosophes n'ont pas été sans remarquer ce que pouvait donner ce type de loi dans les États totalitaires.
Au xviie siècle au niveau de la conception de l'État et de la loi qui lui est sous-jacente, la France et l'Angleterre évoluent dans des directions opposées. Alors que la France se dirige vers l'absolutisme, l'Angleterre commence sa marche vers la démocratie. Quelque temps avant que Richelieu n'arrive au pouvoir en France, le roi Jacques Ier d'Angleterre, qui veut imposer la monarchie absolue dans son pays, s'oppose fortement au Parlement anglais et au grand juriste Lord Coke. Pour le roi, anticipant la position de Cardin le Bret, la loi est « l'émanation de la volonté du souverain »14. En face, Lord Coke réplique que le roi « est soumis à Dieu et à la loi ». En effet dans cette tradition juridique, la loi n'est pas un commandement comme le note Hannah Arendt15, mais ce qui relie (le mot lex signifiant « liaison étroite »). De ce fait, il n'y a ni « besoin d'une source absolue d'autorité » ni surtout que la loi suprême vienne du pouvoir puisqu'au contraire elle vient le limiter. Dans ces conditions, un système fédéral est possible et deux niveaux de souveraineté peuvent coexister puisque la souveraineté est d'emblée comprise comme limitée. Les États-Unis, fortement influencés par la tradition de Lord Coke, ont un système fédéral dans lequel, outre l'État fédéral (Washington DC), des États locaux possèdent des organes législatifs, exécutifs et judiciaires propres qui exercent, selon la division des pouvoirs prévue dans la Constitution des États-Unis, un droit souverain dans leurs champs de compétence.
L'État est administré par des gouvernants élus et des fonctionnaires gouvernants (Jacques Lagroye), c'est-à-dire que l'État est à la fois administratif et politique, avec une division sociale du travail (Émile Durkheim) entre ces deux personnels. En général, l'État est composé de ce qui constitue pour John Locke le gouvernement civil (le pouvoir exécutif et le pouvoir législatif), de la justice (le pouvoir judiciaire) et de tout un appareil militaire et administratif : forces de polices et administration. L'État est une institution d'institutions en interaction permanente dont chacune a une culture distincte - c'est-à-dire des univers de sens et de pratiques différents. L'État n'est donc pas un, ni unifié. Il est un espace où se développent et où coexistent des cultures et des logiques institutionnelles quelquefois différentes.
Concernant la France, Alexis de Tocqueville dans son livre l'Ancien Régime et la Révolution insiste sur deux points : la permanence des institutions de l'État bâties à partir de Richelieu et l'influence de la physiocratie sur les réformes introduites par la Révolution. Il écrit à ce propos : « Toutes les institutions que la Révolution devait abolir sans retour ont été l'objet particulier de leurs attaques ; aucune n'a trouvé grâce à leurs yeux. Toutes celles, au contraire, qui peuvent passer pour son œuvre propre ont été annoncées par eux à l'avance et préconisées avec ardeur ; on citerait à peine une seule dont le germe n'ait été déposé dans quelques-uns de leurs écrits ; on trouve en eux tout ce qu'il y a de plus substantiel en elle »18.
Les principes fondamentaux d'un État moderne, tels qu'ils ont été énoncés par les grands philosophes politiques, incluent la séparation des pouvoirs. John Locke, dans les deux traités du gouvernement civil (1690), distingue le pouvoir exécutif et le pouvoir législatif. Montesquieu, dans De l'esprit des lois, adjoindra ultérieurement un troisième pouvoir, le pouvoir judiciaire. Si la constitution américaine de 1787 s'inspire de ces deux philosophes, ainsi que des principes de droit naturel de Samuel von Pufendorf, longtemps ce courant n'aura qu'une influence très minime sur les institutions en France, en Angleterre même, il perdra de son influence à partir de la première moitié du xixe siècle. Pour Élie Halévy, l'idée de contre-force que l'on trouve chez Montesquieu et chez les libéraux anglais qui ont fait les révolutions au xviie siècle repose sur un pessimisme moral, sur un doute sur les capacités de l'homme à comprendre son vrai intérêt et celui de la cité, d'où la nécessité d'institutions destinées à affiner la pensée et l'action des hommes, à l'obliger à comprendre ce que pensent les autres. Elle s'inscrit dans un cadre où la « droite raison » n'est pas purement abstraite mais doit se nourrir d'une confrontation avec la réalité. Par ailleurs, pour ces hommes les lois ne sont pas des commandements d'une quelconque entité supérieure mais sont des relations. Aussi, Halévy note-t-il : « L'État libéral est un État dont l'on peut dire, à volonté, qu'il est un État sans souverain, ou qu'il renferme plusieurs souverains »19.
En France, à la fin du xviiie siècle, l'idée de contre-force chère à Montesquieu et aux libéraux anglais du xviiie siècle était fortement combattue par François Quesnay et les physiocrates, c'est-à-dire si l'on suit Tocqueville par un des courants qui a eu le plus d'influence en France. Quesnay, dans les Maximes générales du gouvernement économique d'un royaume agricole, écrit : « Le système des contre-forces dans un gouvernement est une opinion funeste qui ne laisse apercevoir que la discorde entre les grands et l'accablement des petits »20. Cette même opposition se trouve dans un courant britannique important au xixe siècle qui a été influencé par les physiocrates avant d'influencer à son tour des républicains français : l'utilitarisme, appelé aussi par Élie Halévy le « radicalisme philosophique » (Jeremy Bentham, Ricardo, John Stuart Mill). Élie Halévy écrit quand il veut exposer ce qui différencie l'État libéral de l'État radical : « L'État radical, au contraire, tel que le définit l'utilitarisme de Bentham est un État qui confère la souveraineté au peuple ; après le peuple se trouve contraint de déléguer un certain nombre de fonctions politiques à une minorité d'individus... non pas pour limiter lui-même sa puissance, pour abdiquer en partie sa souveraineté, mais pour rendre au contraire plus efficaces et plus concentrées l'expression, puis l'exécution de ses volontés. Le problème est alors d'éviter que les représentants du peuple dérobent à ceux qui les ont constitués tels tout ou partie de leur souveraineté. D'où la nécessité de trouver des "contre-forces" capables de "tenir en échec" l'égoïsme des fonctionnaires »19.
L'État à partir du xxe siècle devient peu à peu plus présent, et à l'État-gendarme qui ne s'occupait que de la justice de la police et de l'armée, lui succède la notion d'État-providence qui elle-même recouvre plusieurs réalités. Gosta Esping-Andersen distingue l'État-providence libéral, conservateur-corporatiste et social libéral. Selon Pierre Rosanvallon, on serait passé de l'État régalien (faire respecter l'ordre à travers la police, l'armée et la justice) à l'État instituteur du social (unifier le pays à travers l'instruction publique par exemple, comme ce fut le cas à la fin xixe siècle en France avec les lois Ferry) puis à l'État-providence (1945) (redistribuer les revenus grâce au développement de la solidarité nationale par le biais de la protection sociale notamment). De nos jours l'on serait passé à l'État promoteur économique : soutenir l'économie (Keynes à travers la notion de multiplicateur, par exemple via une politique de grands travaux).
L'économiste américain Richard Musgrave21 définit trois fonctions économiques de l'État dans la Théorie des finances publiques :
- La régulation ou « stabilisation ». Dans une économie de marché, l'activité est souvent cyclique ; l'intervention publique va avoir pour but d'éviter de trop grandes fluctuations en pratiquant des politiques de stabilisation comme cela a été le cas lors de la crise économique de 2008-2009. Les pouvoirs publics interviennent en faisant appel à deux moyens principaux22. Tout d'abord, la politique de "Stop and Go" permet à l'État soit de relancer l'activité économique via une politique budgétaire expansionniste afin de promouvoir la croissance économique et l'emploi ou la réduire par la mise en place d'une politique de rigueur ou d'austérité22. Cette stratégie de "se serrer la ceinture" est faite dans le but de réduire l'inflation et le déficit budgétaire et de la balance des paiements23. Ensuite, la mise en place de règles dans des secteurs aussi divers que l'économie (protection des petites entreprises et des consommateurs contre l'abus de pouvoir des grandes entreprises) et la société (lois visant la sécurité des salariés et la protection des intérêts des minorités ethniques)22.
- L'allocation des ressources ou « affectation ». Dans ce cas les pouvoirs publics interviennent pour prendre en charge les biens collectifs, réguler la concurrence et internaliser les externalités c'est-à-dire par exemple dans le cas des émissions de CO2, les instances publiques vont créer un marché des droits à polluer ou créer une taxe carbone de sorte que les acteurs économiques tiennent compte des conséquences de leurs actes sur l'environnement. Il s'agit de remédier à certaines défaillances du marché pour assurer l'allocation efficace des ressources22. Dans l'essentiel, ces activités correspondent à la réalisation des services gratuits (éducation et santé publiques) ou semi gratuits (routes et autoroutes) ou encore à des situations de monopole naturel (gaz et électricité)22.
- La distribution ou « répartition », qui a pour but d'influer sur les inégalités. Ces politiques sont liées à des notions d'équité, de justice sociale ou plus récemment de capabilité (un concept développé par Amartya Sen) ; En gros, ces mesures publiques sont destinées à assurer le citoyen contre les quatre risques majeurs (analphabétisme, pauvreté, maladie, chômage, vieillesse) par le mécanisme de l'impôt conformement à la conception faîte par Lord William Beveridge (système de l'État providence) au milieu des années quarante22.
Récemment, la théorie de la croissance endogène a mis l'accent sur les effets de certaines interventions publiques sur la croissance potentielle de long terme. C'est ainsi que depuis peu, les États mènent des politiques en faveur de la recherche.
Pour J.-M. Albertini, maître de recherche au CNRS français, ces nouvelles fonctions de l'État sont le résultat d'un changement de la relation qu'entretient l'État à l'égard de l'homme : si avant la révolution française de la fin du dix-huitième siècle, la défense des droits de l'homme se fait contre les pouvoirs publics, actuellement, et surtout depuis l'avènement de l'État providence au milieu des années 1940, l'État est devenu au service de l'homme24. Pour assurer le plein emploi de la main d'oeuvre (ou lutter contre le chômage), l'État accroît ses dépenses publiques par le mécanisme du déficit budgétaire24.
Pour Gøsta Esping-Andersen, l'État-providence ne peut pas se définir seulement par les droits sociaux qu'il accorde aux citoyens, il faut également tenir compte de deux autres éléments : « la manière dont les activités de l'État sont coordonnées avec les rôles du marché et de la famille dans la prévoyance sociale »25. À partir de ce constat et de trois indicateurs26 : le degré de « dé-marchandisation », le degré de stratification sociale (c'est-à-dire l'impact des États-providence sur les hiérarchies sociales et sur les inégalités issues du marché) et la place accordée à la sphère publique et à la sphère privée. Il établit une typologie des États-providence « qui constitue aujourd'hui la pierre de touche de la recherche comparative internationale »27.
« Un welfare state libéral, accordant un rôle principal aux mécanismes de marché et limitant pour l'essentiel sa protection aux plus faibles »28. Les pays archétypes de ce modèle sont le Canada, les États-Unis et l'Australie. Merrien29 hésite à classer le Royaume-Uni dans ce modèle.
« Un modèle conservateur-corporatiste ou encore bismarckien, c'est-à-dire un modèle d'assurance sociale obligatoire généralisée adossé au travail salarié »29. Dans ce système, les revenus des salariés sont partiellement maintenus en cas d'accident, de maladie, de chômage ou lorsque vient l'âge de la retraite. Il y a pluralité de régimes de sécurité sociale et la redistribution est relativement faible. Pour Esping-Andersen, ces régimes sont modelés par l'État « toujours prêt à se substituer au marché en tant que pourvoyeur de bien-être » et par l'Église soucieuse de défendre des valeurs familiales traditionnelles30. Pour cet auteur, l'établissement de droits sociaux par les conservateurs se comprend pour partie par une volonté de maintenir les hiérarchies anciennes menacées par le libéralisme, la démocratie et le capitalisme (du moins certaines formes de ce dernier)31. Pour cet auteur, qui reprend sur ce point d'autres travaux, l'Allemagne de Bismarck ou l'Autriche par le biais des fonds de retraite, ont fait émerger des classes spéciales telles que les fonctionnaires ou les travailleurs de « condition plus élevée » avec peut-être l'intention « de récompenser, ou peut-être garantir, une loyauté et un asservissement »32. Les pays emblématiques de ce modèle sont : Autriche, Allemagne, France, Italie et Belgique.
Un régime social-démocrate qui, au contraire du régime conservateur, vise à « renforcer la possibilité d'une indépendance individuelle » et dont « la spécificité la plus frappante... est peut-être sa fusion entre protection sociale et travail »33. Pour assurer un niveau élevé de protection sociale et une offre importante de services sociaux, il doit viser le plein emploi qui minimise les coûts et augmente les revenus de l'État. Les principaux pays qui se rapprochent de ce modèle : Danemark, Finlande, Pays-Bas, Norvège et Suède. Très souvent, ces pays ont adopté de fortes politiques d'investissement dans la recherche et développement et cherchent à renforcer leur place dans le commerce mondial.
Depuis la fin des années 1980, la place de l'État change radicalement, sous l'effet conjugué de la mondialisation et de la construction européenne34. Avec l'échec des stratégies d'industrialisations et des politiques de relance budgétaire, son rôle comme acteur économique principal est devenu mineur34. De même, il a enregistré beaucoup de faiblesses dans la protection du citoyen contre les grands risques sociaux (éducation, maladie, chômage et vieillesse)34. Les États perdent une partie de leur pouvoir :
- La mondialisation, surtout dans ses aspects économiques, augmente la contrainte extérieure et diminue le pouvoir d'intervention des États dans l'économie mondiale face aux marchés financiers.
- En Europe, les États se désengagent de l'économie en privatisant les entreprises publiques. Ils n'interviennent plus autant dans la prise de décision publique. Ils perdent de leur pouvoir « par le haut », avec la construction européenne. Les directives européennes s'imposent dans de plus en plus de secteurs d'activité.
- En France, l'État perd son pouvoir « par le bas », avec la décentralisation et l'augmentation du pouvoir des régions.
En retour, on doit également signaler les points suivants :
- l'État préside toujours à la mise en place d'infrastructures ou de mesures dont l'impact est sociétal : réseaux de téléphonie mobile, télévision numérique terrestre, vaccination.
- l'État conserve son impact sur les comportements des citoyens : bonus-malus écologique, taxe carbone.
- Depuis la fin des années 1990, de nombreux économistes keynésiens contemporains (Joseph Stiglitz, Paul Romer, Gregory Mankiw...) considèrent que les pouvoirs publics ont plusieurs rôles positifs à jouer afin de résoudre les défaillances du marché35. Les rigidités de l'emploi peuvent être assouplies en baissant les cotisations sociales (voire en les supprimant dans certaines tranches de salaires) concernant les emplois non qualifiés35. Les sommes correspondantes doivent être supportées par des organismes publics ad hoc. Les pouvoirs publics ont aussi la possibilité d'encourager la demande portant sur les produits des entreprises en les subventionnant35. La subvention versée par le "Trésor" au producteur a, en effet, pour conséquence directe de baisser le prix du produit vendu, ce qui induit une augmentation des quantités vendues (augmentation du bénéfice du producteur) et une baisse des prix d'achat (accroissement du bénéfice du consommateur)36. La politique de baisse du taux d'intérêt permet d'améliorer la rentabilité des entreprises en faisant jouer le mécanisme de l'effet de levier35. Les entreprises peuvent également tirer d'autres avantages de l'intervention publique35. Celle-ci peut prendre la forme de protection des industries naissantes conformément à la théorie de Friedrich List et (ou) permettre aux entreprises nationales de conserver ou d'agrandir leur part de marché en les protégeant de la concurrence étrangère35. Dans les pays émergents, ces économistes considèrent que la place des pouvoirs publics reste fondamentale35. L'éducation, la formation, l'infrastructure de base (routes, autoroutes, ports et nouvelles technologies de l'information et de communication) jouent un rôle de premier plan dans l'industrialisation de ces pays35. La Corée du Sud, Singapour, Taiwan et Hong Kong constituent un modèle de développement réussi donné en exemple35.
Enfin la crise bancaire (2008) a montré que les États restent la puissance de dernier recours, et que les entreprises privées y ont recours spontanément, même dans les pays considérés comme libéraux.
Avec l'instauration de politiques de développement durable au début des années 2000, l'État retrouve un rôle de régulation. En Europe, la politique européenne de développement durable se traduit par de nombreuses directives, mais il revient aux États membres de contrôler leur application, dans le respect du principe de subsidiarité. Chaque État doit définir une stratégie nationale de développement durable. De même, les États définissent de plus en plus souvent des politiques publiques d'intelligence économique. C'est le cas aux États-Unis depuis les années 1980, et en France depuis 2005. D'autre part, la crise financière de 2008 a démontré qu'il n'était pas possible de laisser les économies sous le seul pouvoir des marchés financiers, et que les États (ou du moins des institutions possédant des traits de puissance publique) pouvaient exercer un pouvoir de régulation37. Néanmoins, certains auteurs ont récemment avancé le passage d'un État dominateur de la société à un État acteur, soumis à l'impératif de collaboration38.
Pour les économistes proches du libéralisme classique, l'État ne doit pas imposer des règles extra-économiques à l'économie de marché, mais respecter son fonctionnement propre et protéger son épanouissement naturel. Les plus radicaux, partisans d'un État minimal comme Robert Nozick, pensent que l'État doit uniquement garantir le libre déplacement des capitaux, des biens et des personnes. La fonction publique ne doit employer que des soldats, des policiers, des pompiers, des ambulanciers, des médecins etc. et le produit de l'impôt sert donc exclusivement à financer ces services publics vitaux. La levée de l'impôt n'est sinon qu'une entreprise d'extorsion de fonds : par exemple, dit Nozick, il est injuste d'être forcé par l'État à payer pour les allocations des autres. S'il y a des injustices liées au fonctionnement de l'économie, elles ne peuvent être prises en charge que par les associations caritatives et donc par la charité privée, ce qui implique de compter sur la bienveillance et le sens de la pitié des différents membres de la société, à l'égard des perdants et des exclus. De son côté, Friedrich von Hayek, socialiste converti au libéralisme et représentant de l'école autrichienne d'économie, accuse l'État de favoriser la pauvreté par ses interventions au nom de la « justice sociale », concept qu'il juge totalement farfelu. Par exemple, les salaires sont des indicateurs de l'utilité d'un poste de production au sein de l'économie sociale ; ils signalent à chacun l'intérêt économique de son emploi. Quand le gouvernement d'un État réglemente les salaires (par exemple en imposant un salaire horaire minimum, comme le SMIC, ou une progression salariale déterminée sur toute la durée d'une carrière) ces indicateurs naturels sont alors faussées par l'intervention de la puissance publique : des producteurs se croient plus utiles qu'ils ne sont, et ne sont donc pas incités à se rendre plus utiles (en cherchant un travail mieux rémunéré par exemple). Des allocations sont cependant envisagées en faveur des producteurs inaptes ou handicapés, provisoirement ou définitivement.
Ces deux approches libérales partent du principe que la politique économique doit être plus ou moins débarrassée des valeurs morales : celles-ci auraient un faible intérêt économique (voire aucun intérêt économique, comme l'a montré Mandeville au xviie siècle dans la Fable des Abeilles). Paul A. Samuelson, l'économiste américain du MIT, montre l'inefficacité de l'intervention des pouvoirs publics à travers quatre exemples39. Premièrement, les pouvoirs publics, en établissant un prix légal des produits alimentaires largement inférieur au prix du marché libre, et que les vendeurs et les acheteurs doivent appliquer à la lettre, provoquent le manque des produits correspondants en décourageant l'approvisionnement39. Jugeant le prix légal insuffisant susceptible de laminer (ou faire disparaitre) leur profit, les vendeurs vont apporter des quantités de produits de plus en plus insuffisantes, ce qui pousse les autorités à déterminer les quantités à vendre à chaque ménage (rationnement)39. Ces perturbations de l'équilibre du marché concurrentiel vont conduire au développement du marché noir et à des situations indésirables comme les longues files d'attente, le clientélisme et le favoritisme39. Deuxièmement, la fixation d'un salaire minimum (SMIG, G pour garanti ou SMIC, C pour croissance, en France) a pour effet d'accroître le sous emploi de la main d'œuvre. En effet, en fixant un salaire plus élevé que celui déterminé par le marché concurrentiel, l'État accroît désormais le coût du travail des entreprises qui vont embaucher de moins en moins pour épargner leurs marges bénéficiaires39. Troisièmement, le loyer des maisons qui ne doit pas dépasser un certain montant fixé en dessous du prix d'équilibre concurrentiel pousse les propriétaires, en quête d'un loyer plus rémunérateur, à construire de moins en moins, ce qui aura pour effet une pénurie de logements à long terme si la procédure reste en vigueur39. Quatrièmement, le taux d'intérêt fixé par les autorités monétaires représentées par la banque centrale (appelée fed aux États-Unis) à un maximum inférieur au taux d'intérêt du marché a pour conséquence le manque, voire la pénurie des crédits qui pourrait aboutir à des pratiques illégales comme l'usure39. Ces blocages de l'équilibre réalisé par la loi de l'offre et de la demande sont donc à proscrire en période de paix39. Les moyens généralement conseillés pour lutter contre l'inflation sont inspirés, d'une part, de la politique budgétaire, en réduisant les dépenses (subventions et autre dépenses) et en augmentant les recettes de l'État (impôts directs et indirects et taxes) et, d'autre part, de la politique monétaire (hausse des taux d'intérêt) alors que les mesures précitées restent réservées aux temps de guerre39. C'est ce qui est contesté par leurs principaux adversaires. Ce clivage correspond, sur l'échiquier politique, à l'opposition entre les programmes d'inspiration libérale d'une part, et d'inspiration social-démocrate de l'autre. Les premiers donnent la priorité à la liberté des agents économiques, les seconds font valoir le principe d'égalité des individus. De tous les théoriciens qui donnent de la place au principe d'égalité, le plus célèbre est John Rawls : dans la Théorie de la justice il essaye de montrer l'irrationalité des libéraux à travers une hypothèse - qu'est-ce que des individus rationnels attendraient de l'économie, s'ils partaient tous du même point de départ, c'est-à-dire s'ils ignoraient leur position dans l'échelle sociale et leurs avantages ou handicaps économiques de départ (être né dans un quartier noir, ou dans une banlieue résidentielle bourgeoise, avoir un héritage ou être orphelin, etc.) ? Il en conclut que le plus rationnel serait que de vouloir que chacun ait strictement les mêmes chances de réussir : c'est le principe de l'égalité des chances, qui implique un impôt redistributif, proportionnel aux ressources. Un argument important consiste à dire aussi que ce système aurait l'avantage de favoriser le succès des individus les plus méritants, et pas des plus chanceux et des mieux lotis. Le renouveau du principe d'égalité est aussi défendu par Thomas Piketty, qui cherche à démontrer que le libéralisme conduit en pratique à des écarts de richesse de plus en plus béants qui expliquent les crises économiques les plus récentes (par exemple, selon cette interprétation, c'est le recours massif de millions de pauvres au crédit immobilier qui est à l'origine de la grande récession des années 2008 et suivantes ; tandis que les libéraux, eux, attribuent cette crise à une réglementation excessive de l'économie).
La controverse concerne donc essentiellement la priorité donnée au principe de liberté totale par les libéraux. Il s'agit de décider, d'une part, quelle place on fait au principe d'égalité, et d'autre part, dans quelle mesure les jugements moraux ont leur place dans la politique économique et permettent de favoriser la richesse de tous, c'est-à-dire, le bien-être. L'analyse empirique, sociale, économique et historique des crises économiques et des mécanismes de l'économie de marché, devrait contribuer à résoudre ce débat, mais ne fait que le perpétuer, puisque c'est avant tout le problème du type de société que l'on souhaite qui se pose.
Plusieurs grandes traditions aussi bien en science politique qu'en sociologie structurent les théories de l'État : les approches marxistes, pluralistes, institutionnalistes et pragmatique ou l'approche en termes de société civile a chacune été utilisée pour arriver à une meilleure compréhension de l'État qui reste imparfaite eu égard à la complexité du sujet étudié. D'une part les frontières de l'État ne sont pas fixes mais constamment en mouvement, d'autre part, l'État n'est pas seulement un lieu de conflits entre différentes organisations, il est aussi un lieu de conflits à l'intérieur des organisations. Si certains chercheurs parlent de l'intérêt de l'État, il faut constater qu'il y a souvent des intérêts divergents entre les parties constituant l'État.
Pour Marx et Engels, l'État est un produit de la société de classes, lorsque la société scindée en classes aux intérêts antagonistes est en lutte permanente avec elle-même « le besoin s'impose d'un pouvoir qui, placé en apparence au-dessus de la société, doit estomper le conflit, le maintenir dans les limites de l'« ordre » ; et ce pouvoir, né de la société, mais qui se place au-dessus d'elle et lui devient de plus en plus étranger, c'est l'État (...) il est, dans la règle, l'État de la classe la plus puissante, de celle qui domine au point de vue économique et qui, grâce à lui, devient aussi classe politiquement dominante et acquiert ainsi de nouveaux moyens pour mater et exploiter la classe opprimée »40.
Quant à Lénine, évoquant le thème de l'État dans une conférence restée célèbre à l'université sverdlov le 11 juillet 1919, il parle tout d'abord de la difficulté du problème : « le problème de l'État est un des problèmes les plus complexes, les plus difficiles, celui qui, peut-être a été le plus embrouillé par les savants, les écrivains et les philosophes bourgeois ». Il clarifie enfin sa vision des États démocratiques modernes et du suffrage universel : « La puissance du Capital, c'est tout; la Bourse, c'est tout ; tandis que le Parlement, les élections ne sont que pantins, que jeux de marionnettes... » Il envisage en conclusion de sa conférence le dépérissement de l'État dans une société socialiste mondiale41.
En d'autres mots, comme le souligne François Châtelet : « L'État est une administration appuyée par l'armée et par la police, dont toute la fonction est de renforcer, de légaliser et de faire apparaître comme morale l'oppression qu'exercent ceux qui possèdent les moyens de production - terres, mines, outils, habitation et la commune de ceux-ci, le Capital - sur ceux qui n'ont d'autre ressource pour survivre que de vendre quotidiennement leur force de travail »42. Cet État instrument de la classe dirigeante doit à terme disparaître en même temps que disparaîtront les classes sociales. « Nous nous rapprochons maintenant à pas rapides d'un stade de développement de la production dans lequel l'existence de ces classes a non seulement cessé d'être une nécessité, mais devient un obstacle positif à la production. Ces classes tomberont aussi inévitablement qu'elles ont surgi autrefois. L'État tombe inévitablement avec elles. La société, qui réorganisera la production sur la base d'une association libre et égalitaire des producteurs, reléguera toute la machine de l'État là où sera dorénavant sa place : au musée des antiquités, à côté du rouet et de la hache de bronze »40.
l'État sert donc toujours les intérêts de la classe sociale qui détient les moyens de production. C'est ainsi qu'il représente la bourgeoisie dans le cadre du capitalisme, puis " le prolétariat organisé en classe dominante "43 avec l'avènement du socialisme et va enfin disparaitre de lui-même lorsque ce système est remplacé par le communisme où les moyens de production ne vont appartenir à aucune classe sociale44.
Pour les marxistes contemporains, comme Ralph Miliband45, la classe dirigeante utilise l'État comme un instrument de domination de la société en utilisant les liens personnels entre les hauts fonctionnaires et les élites économiques. Pour cet auteur, l'État est dominé par une élite qui a la même origine que la classe capitaliste. Pour certains théoriciens néo-marxistes, cette question de qui contrôle l'État est sans intérêt. Influencé par Antonio Gramsci, Nicos Poulantzas remarquait que les États capitalistes ne suivaient pas toujours la classe dirigeante et que, quand ils le faisaient, ce n'était pas forcément consciemment mais parce que les structures de l'État étaient telles que les intérêts à long terme des capitalistes étaient toujours assurés.
Pour la pensée libérale, l'État a pour fonction principale de protéger les atteintes aux Droits Naturels des individus : liberté, propriété et sûreté. Ce courant vise à minimiser autant que possible l'envahissement de l'État dans tous les domaines de la société civile. L'économiste libéral Frédéric Bastiat, dans un texte sur l'État publié en 1848 dans le journal des débats définit l'État de la manière suivante : « La grande fiction à travers laquelle tout le monde s'efforce de vivre aux dépens de tout le monde »46. Le courant libertarien va même jusqu'à prôner une disparition totale de l'État (anarcho-capitalisme dont l'économiste Murray Rothbard est un des grands représentants) ou une réduction aussi forte que possible (minarchisme).
Si l'approche néo-marxiste a été influente en Europe dans les années 1960 et 1970, l'approche pluraliste a eu à la même époque une large audience aux États-Unis. Pour Robert Dahl, l'État est à la fois comme une arène neutre pour des intérêts en conflits et lui-même traversé de conflits d'intérêts entre ses différents départements ou agences. La politique pour lui est le produit d'un constant marchandage entre groupes qui ont tous un moyen de pression sur l'État. Dahl nomme ce type d'État une polyarchy47.
Pour John Dewey, l'État n'a rien de métaphysique comme chez les hégéliens. Il ne dépend pas non plus d'une cause unique comme la volonté générale chez Jean-Jacques Rousseau, ni de raisons historiques ou psychologiques comme la peur chez Hobbes. L'État est de nature essentiellement fonctionnelle et tient à la nécessité de gérer les conséquences des actes des hommes48. Pour lui, il y a un État parce que « les actes humains ont des conséquences sur d'autres hommes, que certaines de ces conséquences sont perçues, et que leur perception mène à un effort ultérieur pour contrôler l'action de sorte que certaines conséquences soient évitées et d'autres assurées »49. C'est uniquement parce que les gens prennent conscience qu'une telle fonction doit être assurée qu'un public se forme et constitue un État50. Pour Dewey, « l'État est l'organisation du public effectuée par le biais de fonctionnaires pour la protection des intérêts partagés par ses membres. Mais, ce qu'est le public, ce que sont les fonctionnaires, s'ils assurent convenablement leur fonction, voilà des choses que nous ne pouvons découvrir qu'en allant dans l'histoire »51.
Pour les marxistes et les pluralistes, l'État se contente de réagir aux activités des groupes sociaux. Aussi ils ont été critiqués par d'autres chercheurs qui leur ont reproché de ne pas mettre assez en valeur l'autonomie de l'État et d'être trop centrés sur la société. Pour les tenants de la nouvelle approche institutionnaliste en politique, les comportements des individus sont fondamentalement modelés par les institutions et l'État n'est ni une arène ni un instrument et ne fonctionne pas dans l'intérêt d'une seule classe. Les chercheurs de cette école mettent l'accent sur la nécessité d'interposer la société civile entre l'État et l'économie.
Theda Skocpol suggère que les membres de l'État ont un important degré d'autonomie et qu'ils peuvent poursuivre leur intérêt indépendamment (et parfois en conflit) des autres acteurs de la société52. Comme l'État possède les moyens de coercition et que les groupes de la société civile sont dépendants de lui, les fonctionnaires peuvent imposer dans une large mesure leur préférence à la société civile.
Dans l'encyclique Caritas in Veritate de juillet 2009, Benoît XVI indique que les acteurs de la vie économique ne peuvent se limiter au marché seul, mais que l'économie doit aussi impliquer l'État et la société civile :
« La vie économique a sans aucun doute besoin du contrat pour réglementer les relations d'échange entre valeurs équivalentes. Mais elle a tout autant besoin de lois justes et de formes de redistribution guidées par la politique, ainsi que d'œuvres qui soient marquées par l'esprit du don. L'économie mondialisée semble privilégier la première logique, celle de l'échange contractuel mais, directement ou indirectement, elle montre qu'elle a aussi besoin des deux autres, de la logique politique et de la logique du don sans contrepartie. Mon prédécesseur Jean-Paul II avait signalé cette problématique quand, dans Centesimus annus, il avait relevé la nécessité d'un système impliquant trois sujets : le marché, l'État et la société civile »53.
L'encyclique Centesimus annus de 1991 soulignait déjà ce rôle de l'État :
« l'État a le devoir d'assurer la défense et la protection des biens collectifs que sont le milieu naturel et le milieu humain dont la sauvegarde ne peut être obtenue par les seuls mécanismes du marché »54.
L'État moderne est distinct et connecté à la société civile. L'analyse de cette connexion a été l'objet d'une attention considérable aussi bien dans l'analyse du développement de l'État que dans les théories normatives. Des penseurs comme Thomas Hobbes ou Bodin ou les juristes de Richelieu mettaient l'accent sur la suprématie de l'État. Pourtant proches d'eux, Hegel s'est intéressé aussi aux liens entre État et société civile. Au xxie siècle, Jurgen Habermas avance que la société civile forme une sphère publique lieu d'engagements extra-institutionnels autonome de l'État et en interaction avec lui.
Des théoriciens marxistes, tel Antonio Gramsci, se sont interrogés sur la distinction entre l'État et la société civile, en arguant que le premier est intégré de nombreuses façons dans la seconde[réf. souhaitée]. D'autres, comme Louis Althusser, ont maintenu que les organisations civiles comme l'Église, l'école et même les syndicats étaient partie prenante d'un « appareil idéologique de l'État ». Étant donné le rôle des groupes sociaux dans la politique publique et leurs connexions avec la bureaucratie étatique, il devient difficile d'identifier les frontières de l'État qui fluctuent également au gré des privatisations, des nationalisations et de la création de nouveaux organes. Souvent la nature d'organisation quasi-autonome n'est pas très définie générant des débats parmi les spécialistes des sciences politiques pour savoir si elles sont d'État ou de la société civile. Certains spécialistes, tel Kjaer55, préfèrent parler de réseaux politiques et de gouvernance décentralisée dans les sociétés modernes plutôt que de bureaucraties d'État ou de contrôle direct par l'État.
La théorie juridique a eu beaucoup de mal à définir ce qu'était l'État. Plusieurs écoles se sont affrontées sur ce terrain ; on retiendra ici les trois grandes perspectives de l'approche juridique. Maurice Hauriou propose l'État de puissance. Cette théorie remonte aux ouvrages de Nicolas Machiavel, de Thomas Hobbes et de Jean Bodin. Dans cette approche, l'État est caractérisé par ses souverainetés interne et externe. L'État est un Léviathan dont la fonction est de maintenir l'ordre dans la société dont il assure la direction. Dans ses premières conceptions, l'État incarne l'intérêt général et dispose alors d'un certain nombre de prérogatives qui émanent de sa souveraineté, notamment le pouvoir de créer le droit et de prendre des actes administratifs unilatéraux (AAU) qui s'imposent aux individus sans leur consentement. L'État dispose alors de la personnalité morale, il est une personne au même titre que le citoyen. Hauriou introduit au début du xxe siècle l'idée de l'élection du président de la République au suffrage universel.
En faveur du positivisme juridique, Hans Kelsen propose l'État de droit. Pour cet Américain d'origine autrichienne et pour l'école allemande de l'État de droit, ce n'est pas l'État qui produit le droit, mais l'ordre juridique (c'est-à-dire la hiérarchie des normes) qui produit l'État. L'État ne serait alors que l'émanation du droit qui limiterait sa puissance d'arbitraire. Dans cette perspective, l'État n'est plus défini comme dans la théorie de l'État de puissance par sa souveraineté, mais par son identification à un ordre juridique et sa soumission au droit. Cette théorie allemande de l'État de droit a été reprise par Raymond Carré de Malberg qui a essayé de transposer cette théorie en France. Pour assurer la pérennité du droit, il faut que la hiérarchie des normes juridiques soit garantie et qu'il existe un contrôle juridictionnel pour faire respecter cette hiérarchie des normes de façon à forcer l'État à respecter le droit. Ce contrôle juridictionnel de l'État existe depuis l'arrêt du Tribunal des conflits (TC), 1873, Blanco. Léon Duguit propose l'État de service. L'État n'est caractérisé ni par la souveraineté, ni par son identification à un ordre juridique. Pour Duguit, l'État n'est qu'une coquille vide, il n'a pas de personnalité, ne peut disposer de droits subjectifs et ne saurait être en mesure d'imposer quoi que ce soit à qui que ce soit. L'État est donc une coquille vide derrière laquelle se cachent des gouvernants - or rien ne garantit que ces gouvernants accepteront de limiter leur puissance pour toujours et continueront à se soumettre au droit. Ce qui justifie, selon Duguit, l'existence de l'État, c'est le service public. L'État est en effet selon lui l'expression de la solidarité sociale. Les hommes, regroupés en sociétés, sont devenus de plus en plus interdépendants. Cette interdépendance a été accompagnée de la création de normes, et pour faire respecter ces normes, des dirigeants ont émergé. Mais ces dirigeants ne restent dirigeants qu'aussi longtemps qu'ils continuent à se dévouer à la société et à l'organisation de la solidarité sociale au moyen du service public. Pour Duguit, l'État n'est alors que l'émanation de la société et non pas la conséquence d'une quelconque souveraineté de l'État ou d'un ordre juridique préexistant.
Dictature ( Inventè par la famille de l àctuel president de cuba et ses iles, Fidel Castre Saavedra-Par la nature de juifs il vecurent toujours sur cette dependence psychiatrique)
Une dictature est un régime politique dans lequel une personne ou un groupe de personnes exercent tous les pouvoirs de façon absolue, sans qu'aucune loi ou institution ne les limitent1 ; il faut préciser que même un régime autoritaire peut avoir des lois, des institutions, voire un parlement avec des députés élus, mais pas librement et ne représentant donc pas des contre-pouvoirs. Ce régime politique a fréquemment été violemment critiqué ; ainsi, Hannah Arendt affirme que les lois qu'il promulgue sont éthiquement illégitimes, et que les institutions y sont factices2.
L'origine du terme remonte à la Rome antique, où la dictature était un état de la République romaine où un magistrat (le dictateur) se voyait confier de manière temporaire et légale les pleins pouvoirs en cas de troubles graves.
Le terme apparaît de manière obscure, pour la première fois chez Cicéron dans De Republicad 1,d 2,d 3 puis dans Pour Milond 1, sous le terme latin de dictator, dérivé du verbe dictared 2, c'est-à-dire « dire en répétant souvent, ordonner, commander » avec le suffixe d'agent -tord 4, probablement pour désigner un magistrat par un mot au sens non-défini pour les formes spéciales de gouvernance de certaines villes du Latiumd 1, par exemple celles d'Alba, du Lanuvium3, de Cora, de Tusculum, et de Nomentum4, Tusculum5,6,7. À Rome, ce magistrat était appelé Magister populid 1.
Dictateurs romains (Cesarherhs)
Dans son sens d'origine, le terme désigne un magistratd 5 sous la République romaine, nommé par le Sénatd 6,d 7 et investi par les Consuls pour les remplacer8 pour gouverner en cas de proclamation du Justitiumd 8, une situation de crise. Il était muni des pleins pouvoirsd 7, l'Imperium qui regroupe tous les aspects de la vie publique excepté le pouvoir financier qui demeurait sous la coupe du Sénat8, y compris dans le pomeriumb 1,b 2, pendant un mandat, qui ne peut, à l'origine excéder six moisd 7, mais évoluera sous les différents dirigeants. Selon Jacques Bainville, quatre dictateurs romains se distinguent par leur conquête du pouvoir : Marius, Sylla, Pompée et César8. Cette première forme de dictature romaine tombe en désuétude à la fin du iiie siècle av. J.-C., elle est abolie après la mort de Jules César.
Le terme désigne également un fonctionnaire après les réformes augustéennes dans les États latins tardifs9.
Cette forme d'État est d'abord décrite, aussi bien chez les historiens antiques notamment chez Tite-Live10 que chez les savants modernes comme une mesure exceptionnelle, une « magistrature républicaine extraordinaire »10.
Dans la culture étrusque et latine, le terme ne désigne pas un statut péjoratif comme aujourd'hui11, au contraire, il semble être valorisé par Tite-Live10 et Cicéron[réf. souhaitée]. Il ne désigne pas, contrairement au statut de tyran, un jugement de valeur porté sur l'exercice du pouvoir mais désigne une institution12. Toutefois, la distinction entre tyrannie et dictature, et de ce fait tyran et dictateur, n'est pas toujours très nette, et ces questions sont ouvertes à controverses et débats chez les historiens13. Par exemple, l'historien Frédéric Hurlet tente notamment de qualifier le pouvoir exercé par Sylla dans son livre La dictature de Sylla : monarchie ou magistrature républicaine? Essai d'histoire constitutionnelle. mais la question reste encore ouverte en 2021, l'historien Alban Dignat emploi l'expression « dictature de caractère monarchique » dans la revue Hérodote14.
Le mot dictateur désigne actuellement ce que l'on appelait plutôt tyran15 dans l'Antiquité ou despote dans l'Ancien Régime. Cette acception qui s'est développée pendant la Révolution française16 sert surtout pour la période contemporaine.
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Dans le Dictionnaire encyclopédique Brockhaus et Efron, publié entre 1890 et 1907 à Saint-Pétersbourg sous l'Empire russe, une dictature est définie comme « un pouvoir totalement ou presque illimité, non fondé sur le droit existant »c 1.
Dans la Gran Enciclopèdia Catalana, publiée à partir de 1968, un dictateur est défini comme « celui qui reçoit ou s'arroge le droit de concentrer en lui tous les pouvoirs »c 2.
Autres définitions :
- Encyclopædia Universalis : « La dictature est un régime politique autoritaire, établi et maintenu par la violence, à caractère exceptionnel et illégitime. Elle surgit dans des crises sociales très graves, où elle sert soit à précipiter l'évolution en cours (dictatures révolutionnaires), soit à l'empêcher ou à la freiner (dictatures conservatrices). Il s'agit en général d'un régime très personnel ; mais l'armée ou le parti unique peuvent servir de base à des dictatures institutionnelles. »
- Dictionnaire de la politique (Hatier) : « La dictature se définit comme un régime arbitraire et coercitif, incompatible avec la liberté politique, le gouvernement constitutionnel et le principe de l'égalité devant la loi. »
- Dictionnaire culturel (Larousse) : une dictature est un « régime politique dans lequel le pouvoir est détenu par une personne ou par un groupe de personnes (junte) qui l'exercent sans contrôle, de façon autoritaire » et un dictateur est une « personne qui, à la tête d'un État, détient tous les pouvoirs, les exerçant sans contrôle et de façon autoritaire ; autocrate » ou « sous la République romaine, magistrat extraordinaire nommé en cas de crise grave par les consuls sur la demande du sénat, et possédant tous les pouvoirs en Italie pour six mois au maximum ».
Selon Hannah Arendt la différence entre une dictature et un régime totalitaire ne se situe pas dans l'ampleur de l'arbitraire, de la répression et des crimes, mais dans le degré de contrôle du pouvoir sur la société : une dictature devient « totalitaire » quand et si elle investit la totalité des sphères sociales, s'immisçant jusqu'au cœur des sphères privée et intime (familles, mentalités, psyché individuelle)17.
Selon Michel Hastings (CEPEN-IEP de Lille) en 2007, le sociologue Juan Linz a voulu casser l'idée d'opposition binaire démocratie/totalitarisme sous-jacente à la guerre froide, opposition « érigée en vérité scientifique et politique » dans les années 1960 et 1970, sans nuances18. Linz le fait en ouvrant une troisième voie pour mieux décrire des régimes qu'il qualifie de « régime autoritaire » ; ni tout à fait démocratiques, ni tout à fait totalitaires. Il propose de réserver l'usage du qualificatif autoritaire aux « gouvernements de crise intérimaires qui ne se sont pas institutionnalisés et qui introduisent une coupure provisoire avec les règles du régime précédent en matière d'accession au pouvoir et d'exercice de celui-ci ; et cela, quelle que soit la nature des contextes politiques - démocratique, traditionnelle ou autoritaire - dans lesquels ils constituent une parenthèse ». Une suspension temporaire des règles du régime antérieur serait, selon lui « le propre des gouvernements justifiant l'appellation de dictatures constitutionnelles »[réf. nécessaire]19.
La typologie des régimes politiques est une démarche méthodique des sciences politiques qui consiste à définir et classer l'ensemble des régimes politiques. Une des premières typologies des régimes est celle d'Aristote dans sa Politique20, elle se divise en trois principaux groupes en fonction du nombre de gouvernant21 et de la finalité de la constitution. Il décrit les formes politiques gouvernées par une seule personne (royauté, tyrannie), d'un petit nombre (aristocratie, oligarchie) et par plusieurs individus (gouvernement constitutionnel, démocratie)21. Aristote fait de la tyrannie une forme corrompue de gouvernement par un seul, la monarchie. Dans De l'esprit des lois, Montesquieu propose une typologie différente de celle d'Aristote22, bien qu'elle reste une classification par le nombre de gouvernants, celle-ci est fondée sur la relation entre la société et le régime23, lui-même caractérisé par la taille de son territoire ainsi que d'autres facteursn 1. Cette typologie est divisée en trois formes de gouvernement : la république, la monarchie et, la pire forme de gouvernement24, le despotisme.
Dans le domaine de la politique, on appelle « dictature » un régime dans lequel une personne (dictateur), ou un groupe de personnes, disposant d'un pouvoir absolu, s'y maintient de manière autoritaire et l'exerce de façon arbitraire.
Le caractère absolu du pouvoir se caractérise notamment par l'absence de séparation des pouvoirs (exécutif, législatif, judiciaire). Cette confusion des pouvoirs peut l'être au profit de l'exécutif (cas le plus courant) ou au profit du pouvoir législatif (régime d'assemblée). Il résulte aussi de l'absence de contrôle démocratique et d'élections libres (répression politique des opposants, le non-respect de la liberté de la presse).
Le caractère arbitraire du pouvoir se traduit par le non-respect de l'État de droit (violation de la Constitution, établissement de lois d'exceptions).
Si beaucoup de dictateurs arrivent au pouvoir à la suite d'un coup d'État (en Afrique, en Asie en Amérique latine et en Europe centrale et orientale, longtemps sous l'influence du Bloc de l'Est), d'une guerre civile (Francisco Franco) ou d'une guerre internationale (Kim Il-sung), il arrive qu'un dirigeant parvienne au pouvoir légalement avant de devenir un dictateur (ce fut le cas d'Adolf Hitler ou d'António de Oliveira Salazar) ou bien accède au pouvoir dans un régime de parti unique (ce fut le cas de Lénine, de Staline et de Mao).
[réf. nécessaire]
En 2006, Brian Lai et Dan Slater proposent une nouvelle typologie des régimes autoritaires qui comprend quatre catégories : « machine » (parti oligarchique), « bossisme (en) » (autocratie avec partis), « homme fort » (autocratie particulière) et les juntes (oligarchie)b 3. Aucune catégorie ne comprend la dictature, bien que certaines aient des formes dictatorialesb 3.
D'après Gustav Lidén, les typologies sur les dictatures ont augmenté ces dernières années et les récentes recherches révèlent que les « liens établis avec les dictatures sont vagues ou presque des alternatives arbitraires »c 3. Il rappelle que les dictatures sont en général classifiées à partir de caractéristiques telles que l'accès au pouvoir, la gouvernance par une seule personne, la forme militarisée du pouvoir et le fait qu'il y ait parti uniqueb 4. Il soutient l'idée que classifier une dictature seulement à partir de sa forme de gouvernance par un seul individu n'est pas pertinente car la royauté traditionnelle, elle aussi, est une forme de gouvernance par un seul individub 5 ; de fait, la classification sur ce seul critère « réflète les idées stéréotypées [que l'on se fait] d'un dictateur »c 4.
Certains critères peuvent mettre au jour le caractère dictatorial d'un chef d'État dans un pays, sans pour autant tous les réunir :
- Culte de la personnalité, caractère narcissique
- Absence de contre-pouvoir
- Répression de toute forme d'opposition et non-respect des Droits de l'homme des individus
- Contre-révolution
- Présence d'une forme de cruauté pour Machiavel
- Absence d'élection ou élections falsifiées. Pas ou peu d'observation des élections par la communauté internationale
- Absence de liberté d'expression, liberté de la presse (contrôle et mainmise des médias), liberté de réunion, liberté de religion
- Maintien de la population loin de l'enseignement (embrigadement de la jeunesse) et/ou trucage de l'histoire, un peuple instruit étant difficile à manipuler
- Commandement absolu de l'armée et/ou de la police
- Parodie de procès, Déni de justice, Abus de droit
- Corruption et enrichissement personnel
- Népotisme et clientélisme
- Recherche de division pour régner
- Pratiques de la censure et de la propagande
- Surnoms véhiculant l'idée de guider le peuple
- Législation par le dirigeant
[réf. nécessaire]
Il reste encore aujourd'hui des régimes autoritaires ou dictatoriaux, la plupart situés sur les continents africains et asiatiques. En Europe, la Biélorussie et l'Azerbaïdjan[réf. nécessaire] sont considérées comme des dictatures. Entre l'Europe et l'Asie, la Turquie est vue comme un régime où la démocratie se dégrade, à la limite un régime autoritaire.
Les dictatures sont fréquemment des régimes à parti unique, quelquefois fermés au reste du monde (Corée du Nord ou Birmanie avant 201125). Mais la règle n'est pas absolue car l'histoire admet certaines dictatures pluralistes[C'est-à-dire ?] (exemple : la France de Vichy, le Maroc sous le règne d'Hassan II), auquel cas il est plus approprié d'employer l'expression "régime autoritaire" que celle de "dictature".
La montée en puissance des politiques anti-terroristes dans les démocraties occidentales ont par ailleurs remis au goût du jour la théorie de la dictature constitutionnelle, pensée initialement par des juristes allemands sous la République de Weimar26 et illustrée par exemple, en France, par les pouvoirs exceptionnels que tient le Président de la République de l'article 16 de la Constitution.
Article connexe : Indice de démocratie.Carte de l'indice de démocratie par l'Economist Intelligence Unit de 2020 : plus le pays est vert, plus il est considéré démocratique27.Démocraties pleines
- 9-10
- 8-9
Démocraties imparfaites
- 7-8
- 6-7
Régimes hybrides
- 5-6
- 4-5
Régimes autoritaires
- 3-4
- 2-3
- 0-2
- Non déterminé
Le groupe de presse britannique The Economist Group a créé l'indice de démocratie. Il a publié son premier rapport en 2006 et publie depuis une version annuelle. Celui-ci classe les pays en quatre catégories en fonction de leur régime politique : démocratie à part entière, démocratie imparfaite, régime hybride et régime autoritaire. Cette dernière catégorie ne regroupe pas stricto sensu les dictatures, mais les rapports annuels, à l'instar de celui de 2020, précisent28 que « dans cette catégorie de nombreux pays sont incontestablement des dictatures »c 5.
L'Institut international pour la démocratie et l'assistance électorale, fondé en 1997, publie son premier rapport en 2017 sur l'état des régimes politiques dans le monde, en créant les indices Global State of Democracy à partir d'indices, notamment de l' indice de démocratie : « Democracy Barometer, the World Governance Indicators, the Economist Intelligence Unit (EIU) Democracy Index, and the World Justice Project (WJP) Rule of Law Index »29. Elle héberge une carte de 1975 à 2021 qui catégorise les pays en fonction de ces indices30.
L'indice Démocratie-Dictature (Democracy-Dictatorship Index, abrégé DD) est un indice binaire qui classe chaque pays en fonction de son régime politique en deux types : démocratie ou dictature et en trois sous-types chacun : civil, militaire et royal. L'indice a initialement été proposé par Adam Przeworski et al. en 2010 et utilisé par Cheibub et al.b 7 en 201031.
Les auteurs de ce classement revendiquent une approche minimaliste de la démocratieb 7,32, c'est-à-dire qu'elle doit correspondre au concept de démocratie de Karl Popper et Joseph Schumpeter ; Przeworkski précise cette approche en citant Popper : « le seul système dans lequel les citoyens peuvent retourner le gouvernement sans bain de sangc 6 ».
Pour Cheibub et al.b 8, un régime est considéré comme démocratique s'il satisfait : « l'ensemble des critères des quatre règles suivantes :
- Le chef de l'exécutif doit être choisi par élection populaire ou par un organe lui-même élu par le peuple ;
- La législature doit être élue par le peuple ;
- Il doit y avoir plus d'un parti en lice aux élections ;
- Une alternance au pouvoir selon des règles électorales identiques à celles qui ont porté le président sortant doit avoir eu lieuc 7 ».
ssus, consuls l'année précédente, et Jules César, dont le pouvoir en Gaules venait d'être prolongé. Dans l'Urbs même, les affrontements entre les bandes armées de Clodius et celles de Millon font craindre une nouvelle guerre civile. Le projet de Cicéron est ambitieux, il envisage un traité en neuf livres consacré à l'organisation de la cité et à la définition du citoyen1, répartis en neuf jours de discussion tenues en 129 av. J.C. entre Scipion Émilien et ses amis2.
Dans une lettre à son frère Quintus au début de novembre 54, Cicéron indique que son projet est en cours avec deux livres rédigés, qu'il a fait lire à Cn. Sallustius3. Sur l'avis de ce dernier, il va remanier son plan et envisage un dialogue entre lui-même et son frère Quintus4. La version finale du traité montre une nouvelle orientation et regroupe l'ensemble en six livres, censés s'étaler sur les trois jours de l'entretien dirigé par Scipion Émilien5.
Jusqu'en 1818, on ne connaissait de cet important ouvrage que la conclusion (livre VI) annexée au Commentaire au Songe de Scipion de Macrobe sous le titre de Songe de Scipion (en latin : Scipionis Somnium), et quelques passages fort courts cités par les auteurs chrétiens Lactance (44 citations ou reformulations) et Augustin d'Hippone (50 citations ou reformulations), et des grammairiens comme Nonius Marcellus (94 citations) ou Arusianus Messius, confondu avec Fronton6.
Une autre partie du texte fut retrouvée en 1818 par Angelo Mai, préfet de la bibliothèque de manuscrits du Vatican, dans un palimpseste d'un ouvrage d'Augustin d'Hippone, référencé Vaticanus Latinus 5757, copié au début du viiie siècle sur les pages lavées et grattées d'un codex du ive siècle qui contenait le De republica7. Grâce à des réactifs chimiques employés comme révélateur, Mai parvint à déchiffrer par-dessous le texte d'Augustin de nombreux fragments du De Republica : une grande partie du premier livre, un long fragment du second, quelques détails du troisième, deux ou trois pages du quatrième et du cinquième, rien du sixième. Des passages entiers restèrent indéchiffrables, et des pages manquantes ou déclassées ajoutent aux lacunes8. Mai parvint à reclasser les pages grâce à la numérotation lisible par endroits des livres de Cicéron et de cahiers du manuscrit d'origine. Il ajouta à ce texte les fragments déjà connus et le Songe de Scipion, et put produire une première édition commentée en 18229,10.
Les produits chimiques employés par Mai détériorèrent de nombreuses pages, de sorte qu'il fut nécessaire en 1885 de démonter le codex Vaticanus et de stocker chaque page séparément. Une photographie du palimpseste faite à partir de 1903 fut publiée en 1934 par la bibliothèque du Vatican11, et une transcription du texte fut fournie par l'école américaine de Rome.
Le texte cicéronien du manuscrit Vaticanus Latinus 5757 se présente en deux colonnes par page, chaque colonne comporte quinze lignes, de neuf à douze lettres chacune, sans séparation des mots. Les lettres ont été calligraphiées en grande onciale par deux copistes, qui, vu les fautes nombreuses, écrivaient sans comprendre. Le texte porte des corrections en petite onciale, probablement faites par un relecteur plus qualifié. L'étude de ces corrections faite en 1874 par A. Strelitz et F. W. Müller en 1878 a montré leur justesse12.
Malgré les restitutions du texte, l'ouvrage est encore largement défectueux : les préambules de chaque livre manquent à l'exception de celui du livre V connu par une citation d'Augustin d'Hippone ; des livres entiers sont si mutilés qu'on peut à peine reconnaître le plan complet de l'ouvrage, et des incertitudes demeurent sur la version actuelle notamment pour l'emplacement des fragments de textes cités par les grammairiens. Enfin, on n'a pas trace dans le manuscrit 5757 de la correction d'un terme géographique discutée entre Cicéron et Atticus dans une lettre d'avril 5013.
Page d'un manuscrit médiéval du Commentariorum in Somnium Scipionis de Macrobe, du xiie siècle (conservé à Copenhague).
Du livre VI, une partie importante subsiste : le néoplatonicien Macrobe rédigea au début du ve siècle un commentaire au Songe de Scipion, songe qui est la principale partie du livre VI. Le texte de son commentaire ne comportait que des extraits du Songe de Scipion, mais il fut généralement accompagné dans les manuscrits de la copie complète du Songe. À l'inverse des premiers livres du De Republica, l'ouvrage fut largement copié durant le Moyen Âge et de nombreux manuscrits ont subsisté jusqu'à notre époque14.
Parmi ceux-ci, les plus anciens contenant le Songe de Scipion (codices somnii Scipionis) :
- Parisinus N.A.L. 454, du ixe siècle,
- Bruxellensis 10146, fin du IXe ou début du xe siècle,
- Vaticanus Palatinus latinus 1341, du xe siècle,
- Berolinensis Phillipps 1787, du xe siècle.
Aristote et son élève Dicéarque avaient identifié les composantes parfois antagonistes d'un gouvernement d'une cité : le peuple, masse susceptible d'agir sur les décisions, mais au hasard et sans ordre ; les grands, familles d'aristocrates disposant de ressources importantes, divisées en factions et s'opposant pour la domination ; les rois, issus des familles très anciennes ou parvenus au pouvoir par la force. L'exercice du pouvoir par une seule de ces composantes déterminait une des trois formes de constitutions pures, la démocratie, l'oligarchie, la monarchie15.
Dans une préface dont la première moitié manque, Cicéron s'adresse à un interlocuteur qui doit être son frère Quintus, probable dédicataire du traité16, et souligne l'originalité de sa démarche, car il est le premier qui traite ce sujet en ayant une double expérience comme philosophe et comme homme d'État, ce qui le distingue des auteurs grecs précédents, purs philosophes comme Aristote et Platon, et ancre sa réflexion dans une vision concrète et historique17.
Les analyses de Cicéron font donc référence à sa patrie, la République romaine. Il va placer ses dialogues vers 129 av. J.-C., moment où, selon lui, cette République quittait l'équilibre idéal qu'il va décrire, avant que, toujours selon lui, l'intervention des Gracques ne bouleverse l'harmonie républicaine17.
Par un artifice rédactionnel, Cicéron rapporte sa rencontre à Smyrne avec Publius Rutilius Rufus, qui aurait été dans sa jeunesse le témoin d'une conversation réunissant les protagonistes (De Republica, I, VIII, 13)17. Il met ainsi en scène Scipion Émilien, peu de temps avant sa mort, et ses amis. Quatre interlocuteurs sont de la même génération que Scipion : Lucius Furius Philus, Laelius, son meilleur ami, Spurius Mummius, Manius Manilius, qui commença la troisième guerre punique ; quatre autres sont de la génération suivante, selon un procédé classique chez Cicéron de transmission de l'expérience des ainés aux plus jeunes : Publius Rutilius Rufus, Mucius Scævola et Fannius, tous deux gendres de Laelius, Quintus Aelius Tubero, neveu de Scipion Émilien. Le groupe constitué par Cicéron compte neuf personnes, un record de figuration pour ses traités ; il se compose de notables issus des grandes familles romaines, qui se sont illustrés dans les guerres de conquête tout en étant des hommes cultivés épris de culture grecque. Scipion Émilien est l'auteur de la destruction de Carthage et le témoin de l'évolution d'une cité jusqu'à son anéantissement complet18. Il est le personnage principal, Laelius le prie d'exposer quelle est à son avis la meilleure forme de gouvernement, car il a discuté des questions politiques avec les grecs Polybe et Panetius de Rhodes (De Republica, I, XX-XXI).
Avant d'examiner les questions du gouvernement d'une communauté, Scipion, en fait Cicéron, commence par la définition de communauté dans son contexte romain, la notion de populus (en latin, le peuple) : « un populus n'est pas n'importe quel rassemblement d'êtres humains réunis d'une manière quelconque, mais le rassemblement d'une pluralité d'êtres associés par un consentement sur les droits et l'association de leurs intérêts » (De Republica, I, XXV). Cette définition est plus large que celle d'Aristote qui se limitait à une communauté d'intérêts (« une cité est une foule qui se suffit à elle-même »). Elle se distingue aussi de la définition des stoïciens, qui avaient complété Aristote en ajoutant « une foule régie par la Loi », cette Loi étant la manifestation de la Raison, définition idéale mais théorique puisque les lois d'une cité réelle donnée ne sont pas toutes le produit de la Raison. La formulation de Cicéron ne se rapporte pas à l'idée de Loi, mais à celle du droit au sens large, le ius romain, ensemble de coutumes et d'usages sociaux, pratiques vécues et antérieures à une rationalisation, ultérieurement traduites en lois communes et pragmatiques19.
La communauté ainsi formée a besoin pour se maintenir d'être gouvernée par une autorité, soit un homme seul, le roi, ou un petit nombre d'hommes choisis, les aristocrates, ou encore par la multitude. Chacun de ces régimes, la royauté, l'aristocratie, la démocratie, sans être parfait, est acceptable tant que les liens sociaux et l'intérêt commun sont maintenus. Le gouvernement par le peuple, quoique le moins favorable, reste tolérable tant que ne s'introduisent pas des injustices ou des convoitises pour des avantages personnels (De Republica, I, XXVI)20.
Ces régimes que l'on peut qualifier de purs présentent néanmoins des défauts intrinsèques : la monarchie, même sous un roi juste et sage, prive les citoyens de toute participation aux choix politiques, ce qui entraîne un mécontentement chronique ; un gouvernement aristocratique comme celui de Massalia réduit le reste du peuple à la passivité ; enfin la démocratie intégrale ne respecte plus les hiérarchies, comme dans l'ancienne Athènes qui abolit l'autorité de l'Aréopage. Dans chaque cas, des frustrations se développent (De Republica, I, XXVII)20. Ces régimes peuvent connaître des dérives : la monarchie se change alors en tyrannie, l'aristocratie donne lieu aux luttes de factions, la démocratie tourne à l'absence de toute règle. Ces mauvais régimes entrainent un cycle de révolutions qui peut être fatal pour la cité, tandis que l'affaiblissement causé par la discorde intérieure l'expose à ses ennemis21.
Chaque régime est ensuite évalué pour ses avantages : la monarchie offre la nécessaire unité du commandement ; l'aristocratie donne à la cité des personnages compétents possédant richesse, sagesse, expérience et lucidité, qui apportent leurs conseils à l'État ; la démocratie qui accorde au peuple le pouvoir de décider les lois, les alliances, la guerre et la paix, de contrôler les tribunaux, est le régime le plus stable car chacun a le sentiment d'être libre et de ne dépendre que de lui-même. Tant que l'intérêt de tous coïncide avec l'intérêt de chacun, la concorde est établie et durable ; Scipion conclut que la meilleure sorte de gouvernement est une combinaison de ces trois régimes, chacun tempérant les deux autres formes (De Republica, I, XXIX et XXXV)22.
Après avoir montré au livre I la supériorité d'un régime mixte, Cicéron montre que Rome s'est dotée d'un tel régime, avec un équilibre entre les trois types de gouvernement, qui rend moins facile les dérives qui se produisent lorsqu'on s'affranchit des contraintes des lois23.
Cicéron inscrit le livre II dans une analyse historique, et non comme les philosophes grecs, dans une définition de cité idéale, ce qui fait l'originalité de son texte. Sa république n'est pas celle « dépeinte par l'éloquence de Platon, et conçue dans les promenades philosophiques de Socrate », mais celle d'un État bien réel, la cité de Romulus, Rome (De Republica, II, XXIX). Cicéron se réfère à des historiens antérieurs à Denys d'Halicarnasse et Tite-Live qui n'avaient pas encore écrit leurs Histoires, ouvrages les plus complets que nous possédons pour cette période. Il indique se fier à Polybe comme source pour la durée de règnes des rois, un sujet d'incertitude (De Republica, II, XIV, à propos de Numa)24.
Scipion Émilien retrace l'historique des institutions de Rome, depuis sa fondation qu'il place en 750 jusqu'à la période des decemvirs, trois siècles plus tard. Il souligne que, tandis que les cités grecques ont été organisées selon des règles définies par un seul homme, Lycurgue à Sparte, Dracon puis Solon à Athènes, l'État romain s'est constitué progressivement au fil des siècles, avec à chaque étape l'intervention d'un législateur exceptionnel : Romulus sut choisir pour fonder Rome un emplacement judicieux, hors de l'influence maritime corruptrice (De Republica, II, III-VI). Il instaura le Sénat et les premières institutions religieuses, dont les auspices (De Republica, II, IX). Cicéron insiste sur la prise d'auspices, dont le rite a été dévoyé à plusieurs reprises à son époque. Puis Numa Pompilius établit une période idéale de paix, de respect du divin et de douceur. Il organisa les rites religieux, développa les valeurs morales, dont la justice et la fidélité aux engagements, la Fides romaine. Et pour Cicéron, cette première croissance n'est due qu'aux qualités naturelles du peuple romain : il récuse l'idée répandue que Numa ait été un disciple de Pythagore et qu'il ait pu s'en inspirer pour l'organisation de Rome25.
Ses successeurs, Tullus Hostilius et Ancus Martius, sont évoqués en termes élogieux mais une lacune de plusieurs pages n'en laisse que de brèves indications (De Republica, II, XVII-XVIII). Servius Tullius achève la mise en place d'un régime mixte en organisant l'expression du peuple par sa répartition des citoyens en centuries selon leur richesse. Ce passage procure aux historiens certaines données importantes telles la répartition de centuries dans les comices centuriates26. Scipion/Cicéron note l'avantage de cette répartition inégalitaire dans le vote de l'assemblée des comices centuriates, qui ne prive personne du droit de vote, mais privilégie l'expression des plus riches, ceux qui sont le plus intéressés à la prospérité de la cité (De Republica, II, XXII, 39-40).
Après ce règne, les institutions romaines réunissent un roi, un sénat et le peuple et sont donc selon un gouvernement mixte, mais la forme idéale de gouvernement n'est pas atteinte : tel qu'il est en place, ce régime garde une dominante monarchique avec un roi perpétuel, et peut être ruiné par un mauvais roi. Scipion souligne que Carthage et Sparte ont eu ce type d'organisation mixte, sans pour cela connaître le succès de Rome, qui seule a su combiner les trois pouvoirs de façon « tempérée » (De Republica, II, XXIII, 41-43). Si le régime monarchique est le meilleur, il est instable car un tyran suffit à sa perte, tel Tarquin le Superbe, qu'il fut légitime de renverser. Seul un homme de bien, qui se comporte en tuteur et en fondé de pouvoir de l'État, sauvegardant l'intérêt et l'honneur des citoyens, mérite d'être le pilote de la cité (De Republica, II, XXIX, 51).
Après de très importantes lacunes, estimées à douze et seize pages, Scipion/Cicéron décrit avec l'instauration de la République le nouvel équilibre des pouvoirs qui remplace le régime à dominante monarchique : les consuls ont un pouvoir à caractère royal mais partagé et limité dans le temps, le peuple n'intervient que pour un petit nombre de décisions, qui ne sont valables que si elles sont ensuite approuvées par les sénateurs. La dictature qui ressemble au pouvoir royal, conserve la domination des premiers citoyens. L'instauration des tribuns de la plèbe crée un contre-pouvoir en faveur du peuple face aux magistrats et au Sénat (De Republica, II, XXXII, 56 - XXXIV-59). L'épisode des decemvirs montre la dérive tyrannique que peuvent instaurer des magistrats pour lesquels aucun tribun de la plèbe ou magistrat adjoint ne peut opposer de limitation (De Republica, II, XXXVI, 61 - XXXVII-63).
Les nombreuses lacunes rendent peu cohérente la fin du livre II. Scipion annonce qu'il va décrire l'homme d'État apte à diriger la cité (De Republica II, XL-67-XLII-69). Après une importante lacune, ce que l'on possède du livre II s'achève par un paragraphe et trois fragments sur la nécessité de la justice pour gouverner (De Republica II, XLIII-67-XLIV-70).
Le livre III présente de nombreuses et très importantes lacunes. Dans ce que nous possédons, Cicéron résume l'évolution humaine à partir de son état de nature, qui culmine par l'apparition des grands hommes comme Scipion, Laelius et Philus. Ceux-ci réunissent la tradition ancestrale romaine et la science de Socrate, c'est-à-dire possèdent une culture philosophique (De Republica III, I, 3 à IV, 7). Ils exercent sur la société un rôle de modèle, et sont motivés par un désir légitime de gloire au service de l'État27.
Les protagonistes débattent des fondements de la justice et du droit. La question de la préférence du bien public sur l'intérêt particulier est discutée par Philus, qui reprend les arguments du philosophe Carnéade sur la justice formulés lors de son ambassade à Rome en 155 av. J.-C.. Philus montre que la justice n'a pas sa source ni dans la nature ni dans la volonté humaine, mais dans la faiblesse humaine « S'il faut choisir en trois situations, soit commettre l'injustice sans la subir, soit de commettre et subir l'injustice, soit ne faire ni l'un, ni l'autre, la meilleure des trois est de commettre l'injustice, si possible impunément, la plus pitoyable est de toujours être en conflit, tantôt commettant tantôt subissant des injustices » (De Republica, III, XII, 20). Selon Philus, la justice consiste à se conformer aux lois, et à rendre à chacun ce qui lui est dû. La justice se définit comme un comportement vis-à-vis des autres, sans fondement naturel. Philus ne voit dans les lois qu'un caractère conventionnel, car on constate leur variabilité d'une communauté à l'autre : « si le droit était naturel, le juste et l'injuste seraient le même pour tous » (De Republica, III, VIII, 13)28.
Laelius assure la réponse contre Philus, avec l'approbation de Scipion, mais une grande partie de son argumentation a disparu et est difficile à établir28. Il affirme le caractère naturel de la justice et du droit, lié à la nature humaine29.
Ni les quelques fragments déchiffrés par Mai, ni les phrases éparses cités par Nonius Marcellus et Servius ne permettent d'en percevoir le contenu. Des citations orientées de Lactance et d'Augustin d'Hippone suggèrent des thèmes relatifs aux mœurs dans le livre IV, aux règles de gouvernement et aux devoirs de l'homme politique dans le livre V.
Avec prudence, compte tenu de l'état fort endommagé des livres IV et V, Bernard Besnier suppose que ces deux livres traitaient de la formation des jeunes citoyens afin d'en faire des hommes aptes à gouverner la cité, selon les exemples et les principes présentés au livre précédent. Cette éducation, initiée essentiellement par la tradition familiale et contrôlée par une orientation stricte des arts comme la musique et les spectacles, se complète d'apprentissages spécifiques tels que le droit et l'éloquence, destinés à ceux qui sont appelés à prendre une part plus active à la défense du bien commun30.
Dans une lettre à Atticus écrit en février 49, Cicéron cite les devoirs de l'homme d'Etat indiqués au livre V « celui qui préside aux destinées de la République doit avoir pour but le bonheur de ses concitoyens. Qu'il travaille constamment à donner à l'État puissance, richesse, attitude glorieuse, sans s'écarter des voies de l'honneur et de la vertu31 », et observe avec amertume que Pompée en fuyant César s'y est complètement dérobé. On retrouve l'évocation de l'homme de gouvernement idéal, que Cicéron appelle selon les passages princeps (« premier citoyen ») ou tutor et procurator rei publicae (« tuteur et fondé de pouvoir de la République ») (De Republica, II, 51), ou avec d'autres noms (moderator).
Cicéron achève le De Republica de façon analogue à la République de Platon, dont le dernier livre narrait le mythe d'Er le Pamphylien, vision du monde d'outre-tombe et du processus de réincarnation. Scipion Émilien raconte le songe qu'il avait fait vingt ans plus tôt, durant la première campagne de la troisième guerre punique. Il était alors un jeune officier, en mission chez le roi numide Massinissa, allié des Romains. La formule rédactionnelle retenue par Cicéron d'un songe et de visions oniriques parut bien plus vraisemblable que le récit de Platon, qui fait revenir à vie un personnage mort et passé dans l'au-delà. Ce long passage dans lequel les auteurs chrétiens retrouvaient des résonances chrétiennes avant l'heure a été copié et commenté au ve siècle par Macrobe, ce qui a assuré sa conservation sous l'appellation du Songe de Scipion et sa transmission au cours du Moyen Âge, tandis que le reste du traité se perdait32.
Dans son rêve, Scipion Émilien se voit transporté dans le monde de l'au-delà. Il y rencontre son père Paullus et son grand-père adoptif, Scipion l'Africain, qui lui prédisent sa victoire sur Carthage, la destruction de cette ville et la célébration de son triomphe (De Republica, VI, XI,11). Scipion l'Africain lui annonce qu'alors l'État connaitra des troubles causés par son petit-fils (Tiberius Gracchus, non nommé), et que lui-seul pourra résoudre cette crise en prenant la tutelle de l'État avec la qualité de dictateur (De Republica, VI, XII,12). Cicéron place donc le salut de la cité en danger dans les mains d'un seul homme, vers lequel se tourne le Sénat et les bons citoyens, et qui doit intervenir en dehors du fonctionnement régulier des institutions. Mais historiquement, Scipion Émilien décéda subitement dans des circonstances mal éclaircies et n'exerça pas la dictature annoncée dans ce songe. Cicéron laisse entendre que, malgré l'excellence de ses institutions et la qualité de ses grands hommes, les conditions de survie de l'État romain ne sont donc pas garanties. Seul l'individu peut espérer une forme de survie33.
Scipion l'Africain explique ensuite qu'il est des récompenses plus grandes et plus durables que la gloire passagère du triomphe, et qu'il est dans le ciel une place assurée et fixée d'avance pour ceux qui auront sauvé, défendu, agrandi leur patrie, et qu'ils doivent y jouir d'une éternité de bonheur.
Palimpseste ( polytesse ou accomodement de la rubrique comportamentale pour creer de punitions succedannens, c`est a dire, cela etait le face book des 1111 A.V.)
Cette méthode fut utilisée au Moyen Âge, surtout entre le viie siècle et le xiie siècle, par des copistes qui, le parchemin coûtant cher, réutilisaient d'anciens manuscrits pour y copier de nouveaux textes. Pour cela, les vieux manuscrits étaient préalablement désencrés ou effacés grâce à de la ponce.
À cause de cette méthode, de nombreux écrits ont été momentanément ou irrémédiablement perdus : textes juridiques tombés en désuétude, mais aussi textes de penseurs grecs pré-chrétiens, textes d'écriture gothique, et même des textes d'auteurs chrétiens. Il est cependant parfois possible de reconstituer l'ancien texte de certains palimpsestes grâce aux techniques modernes de restauration de documents (chimie, imagerie aux rayons ultraviolets, rayonnement synchrotron).
Par extension, on parle parfois de « palimpseste » pour un objet qui se construit par destruction et reconstruction successive, tout en gardant l'historique des traces anciennes.
En urbanisme, André Corboz a proposé la métaphore du palimpseste dans son texte Le territoire comme palimpseste1.
Le terme est également utilisé en architecture, ou encore dans l'analyse paysagère. Par exemple, Olivier Mongin parle de la « ville palimpseste »2.
En art, on parle aussi de « biopalimpseste » pour une œuvre d'art issue du bio-art qui met en jeu les questions relatives à la réécriture du vivant.
- Le palimpseste d'Archimède3 : une copie de l'ouvrage d'Archimède La Méthode datant du ixe siècle (de la sphère et du cylindre ; de la mesure du cercle ; la quadrature de la parabole ; des corps flottants ; etc.), fut transformé en livre de prières au xiiie siècle, à Constantinople4. Le palimpseste fut découvert en 1899 à Constantinople, puis attribué à Archimède en 1906 par Johan Heiberg qui en fit une copie, permettant à la communauté scientifique de découvrir un texte inédit de ce savant. Le palimpseste fut de nouveau perdu ou volé, puis retrouvé en 19965. Dans ce texte, Archimède donne une méthode mécanique par pesée, lui permettant de comparer les volumes de la sphère, du cône et du cylindre, ces trois volumes étant découpés en tranches extrêmement fines.
- Le Codex Ephraemi Rescriptus, contenant des parties de l'Ancien et du Nouveau Testaments en grec, datant du ve siècle, est recouvert par les travaux d'Éphrem le Syrien, datant du xiie siècle (Bibliothèque Nationale de Paris). Il a été déchiffré entre 1841 et 1842 par Constantin von Tischendorf.
- Le Codex Nitriensis, un volume contenant des travaux de Sévère d'Antioche, au début du ixe siècle, est écrit sur un palimpseste du vie siècle qui contenait des manuscrits de l'Iliade, de l'Évangile selon Luc, et des Éléments d'Euclide (British Museum).
- Le Codex Climaci Rescriptus, contenant des fragments du catalogue des étoiles d'Hipparque (astronome). En 2022, ces fragments grecs ont été rendus lisibles sous l'écriture syriaque par analyse multispectrale, alors que le catalogue d'Hipparque était réputé définitivement perdu.
- Un double palimpseste, dans lequel un texte du ixe ou xe siècle, de Saint Jean Chrysostome, en syriaque, couvre un traité de grammaire latine du vie siècle, qui à son tour recouvrait les annales latines de l'historien Granius Licinianus, du ve siècle (British Museum).
- Un hyper-palimpseste, le Codex de Novgorod, dans lequel des centaines de textes ont laissé leurs traces sur le dos en bois d'une tablette de cire.
- Un texte de Cicéron, De Republica, du ive siècle, recouvert par des Psaumes de saint Augustin, du viie siècle (Bibliothèque du Vatican). La découverte de ce texte de Cicéron a été faite par le cardinal Angelo Mai, au début du xixe siècle.
- Les solives palimpsestes de Montaigne, du xvie siècle où dans sa librairie à Saint-Michel-de-Montaigne (Dordogne), il avait fait peindre en noir sur un badigeon blanc, des sentences grecques et latines d'Érasme, Socrate, Horace, Lucrèce, Pline, etc. ; soit 46 solives et 2 poutres pour un total de 64 citations qui apparaissent aujourd'hui sur les strates à peine perceptibles des précédentes.
On peut signaler une utilisation courante en archéologie égyptienne en application directe de la définition du mot, qui est utilisé pour désigner les modifications apportées par un souverain dans le cartouche d'un pharaon précédent (exemple de Karnak, cartouches des salles nord et sud du palais de Maât)6.
La troisième guerre punique ( Combats entre coupables de facebooking cretien- ils devaient se tuer de facon acrehonthe sacralhus jusqua decharnement vivhanthus) est la dernière phase d'un conflit connu sous le nom de guerres puniques et qui oppose pendant plus d'un siècle Rome et Carthage.
Les deux premières guerres (264-241 av. J.-C. et 218-202 av. J.-C.) aboutissent à la perte de la plupart des possessions de Carthage, qui se limite depuis au nord de l'Afrique au début du iie siècle av. J.-C. En dépit de ce repli, la cité punique connaît une nouvelle phase d'expansion économique durant le dernier demi-siècle de son existence, croissance qui provoque à Rome la crainte d'un réarmement, même si les raisons du conflit sont plus complexes et discutées par les historiens. La croissance de l'État numide de Massinissa, qui se construit en partie aux dépens de Carthage, change également la donne : le jeu d'alliance entre cet État et Rome a pu entraîner Carthage, vaincue en 202, à se défendre et à violer de fait l'une des clauses du traité, donnant ainsi aux Romains le casus belli qu'ils attendaient.
Le conflit se solde, à l'issue d'une courte campagne et d'un long siège qui dure de 149 à 146 av. J.-C., par l'anéantissement de la cité punique, qui est rasée. En dépit des destructions matérielles, la civilisation carthaginoise ne disparaît pas pour autant et nombre de ses éléments sont intégrés à la civilisation de l'Afrique romaine.
En 149 av. J.-C., Rome est de fait la grande puissance du bassin méditerranéen occidental. Elle bénéficie en outre d'une conjoncture économique favorable1.
Le royaume numide lui donne par ailleurs un sérieux appui en Afrique du Nord : son souverain Massinissa est un fidèle allié depuis 206, date des premiers contacts amicaux avec Scipion l'Africain2. Quant à Carthage, malgré sa prospérité, c'est une puissance en déclin dont l'empire appartient au passé. Certes, la mer y joue toujours un rôle important mais la chôra punique en Afrique du Nord se réduit du fait des empiétements successifs du roi numide3,N 1. À la veille du conflit, elle apparaît donc isolée, sans alliés, sans réserves capables d'aider à soutenir un siège, même si la ville abrite des espaces non construits ainsi qu'un dispositif d'enceinte qui compte pour beaucoup dans la durée du siège. Trois lignes de défense protègent la cité du côté de l'isthme : un fossé, une palissade et un mur doté de tours ainsi que d'écuries pour les chevaux et les éléphants de guerreN 2,4. La cité possède également une flotte de 500 navires et peut tirer bénéfice de ses nouveaux équipements portuaires : le port circulaire, dont l'îlot de l'amirauté, et les cales de radoub installées sur l'îlot et tout autour de l'anneau constituant le port militaire.
Selon Claude Nicolet, cette guerre a été provoquée par les craintes romaines d'avoir à affronter à nouveau les Carthaginois bien plus qu'en raison de menaces réelles, même si la vitalité nouvelle de la capitale punique au milieu du iie siècle, en particulier sur le plan économique, n'est sans doute pas étrangère à la décision d'écraser définitivement Carthage, simplement rétablie en Afrique. La cité punique peut en effet être perçue comme un danger5 : Serge Lancel souligne l'importance de la vitalité économique de la cité dans son dernier demi-siècle d'existence6, cette santé pouvant apparaître comme une menace pour les milieux d'affaires de la péninsule italienne7.
Cependant, certains historiens, dont Hédi Slim, voient dans la troisième guerre punique la volonté des Romains d'arrêter la progression de Massinissa, dont le royaume, puissance montante en Afrique du Nord, était plus dangereux que la vieille cité rabaissée8. Cette thèse est contredite par plusieurs auteurs qui mettent en avant les menaces qui pèsent sur la construction territoriale numide en raison de la mort de Massinissa en 1485. Un autre émet même l'hypothèse d'un « crime gratuit »9.
Yann Le Bohec avance pour sa part un faisceau d'éléments : la question de la responsabilité du conflit (Kriegsschuldfrage dans l'historiographie) présente des caractères spécifiques, au cœur desquelles les motivations de Rome tiennent une place considérable. Les explications fondées sur l'impérialisme sont écartées du fait de l'absence d'exploitation après la défaite punique ; de même pour la thèse du crime gratuit. Le motif psychologique, la peur d'un ennemi10 héréditaire, a joué un rôle, selon son analyse. L'économie est aussi à prendre en compte, même si la figure de Caton incline également en faveur d'un argument stratégique11, tout comme la fin du remboursement des contributions à Rome. L'argument militaire et stratégique ne doit pas non plus être négligé, les incertitudes liées à la succession de Massinissa représentant un danger pour Rome ; dans tous les cas, ces incertitudes induisent un bouleversement de l'équilibre régional.
ssus, consuls l'année précédente, et Jules César, dont le pouvoir en Gaules venait d'être prolongé. Dans l'Urbs même, les affrontements entre les bandes armées de Clodius et celles de Millon font craindre une nouvelle guerre civile. Le projet de Cicéron est ambitieux, il envisage un traité en neuf livres consacré à l'organisation de la cité et à la définition du citoyen1, répartis en neuf jours de discussion tenues en 129 av. J.C. entre Scipion Émilien et ses amis2.
Dans une lettre à son frère Quintus au début de novembre 54, Cicéron indique que son projet est en cours avec deux livres rédigés, qu'il a fait lire à Cn. Sallustius3. Sur l'avis de ce dernier, il va remanier son plan et envisage un dialogue entre lui-même et son frère Quintus4. La version finale du traité montre une nouvelle orientation et regroupe l'ensemble en six livres, censés s'étaler sur les trois jours de l'entretien dirigé par Scipion Émilien5.
Jusqu'en 1818, on ne connaissait de cet important ouvrage que la conclusion (livre VI) annexée au Commentaire au Songe de Scipion de Macrobe sous le titre de Songe de Scipion (en latin : Scipionis Somnium), et quelques passages fort courts cités par les auteurs chrétiens Lactance (44 citations ou reformulations) et Augustin d'Hippone (50 citations ou reformulations), et des grammairiens comme Nonius Marcellus (94 citations) ou Arusianus Messius, confondu avec Fronton6.
Une autre partie du texte fut retrouvée en 1818 par Angelo Mai, préfet de la bibliothèque de manuscrits du Vatican, dans un palimpseste d'un ouvrage d'Augustin d'Hippone, référencé Vaticanus Latinus 5757, copié au début du viiie siècle sur les pages lavées et grattées d'un codex du ive siècle qui contenait le De republica7. Grâce à des réactifs chimiques employés comme révélateur, Mai parvint à déchiffrer par-dessous le texte d'Augustin de nombreux fragments du De Republica : une grande partie du premier livre, un long fragment du second, quelques détails du troisième, deux ou trois pages du quatrième et du cinquième, rien du sixième. Des passages entiers restèrent indéchiffrables, et des pages manquantes ou déclassées ajoutent aux lacunes8. Mai parvint à reclasser les pages grâce à la numérotation lisible par endroits des livres de Cicéron et de cahiers du manuscrit d'origine. Il ajouta à ce texte les fragments déjà connus et le Songe de Scipion, et put produire une première édition commentée en 18229,10.